dimanche 1 mai 2011

La mort dans les rues d’Utrecht – Azadeh Pourzand


Lettre à mon père bien-aimé, Siamak Pourzand, dont le cœur précieux a cessé de battre ce soir à Téhéran dans une torture de solitude que les dirigeants actuels de l’Iran lui avaient imposée.

Assise dans un café avec mon ami, prenant un pot à Utrecht par une après-midi ensoleillée, le téléphone sonne et le cauchemar devient réalité ;  j’entends ma sœur sangloter et hurler, « Papa est enfin libre maintenant. Il n’est plus à leur merci. Il est mort, mon amour. » Je hurle, je pleure, tout tourne dans ma tête. Mon ami me regarde, incrédule. Tout d’un coup, ce beau pays qu’est la Hollande me devient un enfer. Je meurs. Je ferme les yeux, je me prends la tête à deux mains et je veux mourir. Mais je reste vivante parce que tu es devenu un « héritage ». Tout d’un coup, les forces me reviennent, j’ouvre les yeux, je regarde le monde courageusement et je décide de ne pas le laisser mourir. Je commence à trembler et à sangloter. Mon esprit bat la campagne. Les années sont des secondes et ma vie avec lui commence à me défiler devant les yeux comme dans un film chaotique. Et c’est ainsi que tout finit : par une après-midi paresseuse à Utrecht, sous le soleil.

Je suis pleine de haine, de colère, j’ai un épuisant désir de revanche. Mais je sais que je ne me vengerai pas. Il n’est pas dans notre nature de leur faire, à eux et à leurs familles, ce qu’ils nous ont fait. Ou peut-être dis-je que la vengeance n’est pas dans ma nature pour soulager mon impuissance. Je n’ai pu que le regarder souffrir. En fait, on ne m’a même pas laissée le regarder souffrir. Il m’a fallu imaginer sa souffrance. C’était là tout mon droit, au nom d’Allah. Oh, Allah, si seulement tu étais aussi cruel qu’ils te font paraître…

Je ne sais même pas où son corps repose ce soir. Je suis assise dans un bois en Hollande, je veux aller en Iran pour au moins serrer son corps fragile et entendre ma famille et mes amis m’interdire de me rendre en Iran. Ils me disent que je ne pourrai même pas serrer son corps dans mes bras. Apparemment, serrer le corps de son père est aussi contraire aux valeurs islamiques.

Voilà comment fonctionne la planète Terre. Ce sera la première nuit où je ne penserai pas à lui avant de me coucher. Je souhaiterais que mes insomnies rendent vie à ses yeux. Mais il est parti, pour toujours. J’avais enregistré 20 heures de conversations téléphoniques il y a trois ans. Il me racontait son enfance et  sa jeunesse. Je vais appuyer sur le bouton marche, pour que ses mots et sa voix apaisent mon âme perturbée et qu’il me mette au lit, me chantant des berceuses  comme il l’a fait tous les soirs pendant des années.

Je t’aime, papa. Tu ne mourras jamais. Tu fais partie de moi. Ils ont fini par te tuer. Mais je garderai précieusement ton héritage vivant dans ce monde. C’est la promesse la plus importante que je n’ai jamais faite de ma vie. Tu vivras, je te le promets. Tu seras plus vivant que jamais.

Je ne peux m’arrêter de pleurer. Mais je sais que tu viendras, enfin, volant jusqu’à moi, pour sécher mes larmes de tes mains invisibles ; exactement comme il y a 5 ans, quand la république islamique m’avait laissée venir jusqu’à toi et ce pour 10 jours. Souviens-toi ! La première nuit, j’ai posé la tête sur tes genoux et tu l’as caressée toute la nuit tandis que je j'évacuais par mes larmes toutes ces années où je te savais à leur merci, dans leurs prisons clandestines. Tu savais, je le savais aussi, que c’était la dernière fois que nous nous voyions. Mais nous avons fait semblant de croire que les choses changeraient. Rien n’a changé. Mais maintenant, elles vont changer. Maintenant qu’enfin tu as volé jusqu’à moi.


Je n’oublierai jamais ce qu’ils t’ont fait. Je n’oublierai jamais les tortures qu’ils t’ont infligées de leurs mains dégoûtantes. C’est une promesse ! Je ne permettrai pas au monde d’oublier.


Source: http://www.payvand.com/news/11/apr/1284.html

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