Devant, un trou, derrière un juge, un homme qui devrait maintenir la justice. Devant, de petites pierres qui viseront le corps, mais derrière, pas de pierres, juste un juge qui devrait être le gardien de la justice ; en fait il vise l’âme, il veut lapider l’âme.
Il saute dans le trou, mais quelqu’un crie : « Attendez, attendez ! Le maître dit de lui donner une autre semaine, elle parlera peut-être et la lapidation ne sera pas nécessaire… »
Le journaliste revient du lieu de lapidation qui ressemble à tous les lieux d’exécution. Il revient et ce sera son âme et plus son corps, qui sera lapidée.
Pas d’adultère, pas de sodomie ni rien d’autre pour autoriser le juge à le condamner à la lapidation. Mais son âme, son esprit ont commis un crime impardonnable : il est penseur, écrivain, ses armes : un stylo et du papier ; son crime, c’est son intellect et sa profession.
Le journaliste revient ; c’est de nouveau lui et le juge. Il doit s’asseoir face à la camera, une fois de plus, pour prendre part à ce honteux théâtre de la vie, portant le poids des aveux écrits par le juge.
A chaque mot prononcé, c’est un morceau de son âme qu’on lui arrache, c’est le corps lapidant l’âme. Le 2 Khordad [jour où Mohammad Khatami a été élu président en 1997], quand il parcourait les rues de Téhéran en pleurant de bonheur, le bonheur de voir qu’une fois de plus sa patrie s’était soulevée, le 2 Khordad, c’était hier…
En fait, le 2 Khordad, c’était il y a 14 ans. Et de nouveau, devant, un trou de 6 étages et derrière, un juge, un juge qui a lapidé l’âme du journaliste tout au long de dix années, en arrachant à chaque fois un petit bout. Pendant tout ce temps, le journaliste est resté en vie dans l’espoir de peut-être un jour revoir ses enfants.
Maintenant le journaliste continue son voyage. Il est fatigué de la captivité, et, cette fois, il court vers le trou et lui donne son corps pour échapper à la lente lapidation de son âme….
L’histoire de Siamak Pourzand, c’est l’histoire de la solitude des journalistes iraniens, des journalistes qui expriment la douleur de leur peuple et qui n’ont personne pour exprimer la leur propre. Il est parti, il a libéré son âme ; mais son départ ne se contente pas de révéler la cruauté du gouvernement, c’est une larme amère sur mon sort et le nôtre. Moi, nous, nous occupons à raconter des histories sur sa grandeur, sur ce qu’il a réussi, maintenant qu’il n’est plus parmi nous ; mais lorsqu’il était captif, nous avions oublié le vieil homme et les larmes de son épouse et de ses filles.
Voilà la triste histoire de tous les journalistes iraniens ; l’histoire de Jila Bani Yaghoub, interdite de journalisme pendant 30 ans, d'Ahmad Zeidabadi interdit à vie ; l’emprisonnement de Bahman Ahmadi-Amoui, d'Issa Saharkhiz, de Massoud Bastani, d'Ahmad Zeidabadi de nouveau, et de tous les autres journalistes dont les seuls crimes sont de penser et d’écrire et la seule arme un stylo.
Mais l’histoire de ce juge est différente. Siamak Pourzand a été sa victime la plus importante , mais pas la seule. Le juge Djaffar Saberi Zafarghandi a présidé mon procès et les procès de nombreux autres journalistes et bloggeurs.
Le juge n’a qu’une arme, mais il sait combien cette arme, la peur de la lapidation, intimide et effraie le corps et l’âme. Ma robe de mariée pendue dans un coin de la pièce, le juge hurlait qu’il me condamnerait à être lapidée.
J’ai fait la grève de la faim. En grève de la faim on me permettrait peut-être de téléphoner à ma mère, même pendant une seconde. On me dit que le juge arrive. Dans mon monde naïf, je suis heureuse de pouvoir enfin lui parler de mes droits qui ont été violés. Ses hurlements se sont déversés sur ma tête comme une poubelle : « Grève de la faim ? Alors tu es professionnelle ! On va te montrer ce qu’on fait des professionnels… Je vais faire venir quatre témoins et signer moi-même l’ordre de te lapider… »
De nouveau, Djaffar Saberi Zafarghandi et devant lui, un journaliste, de nouveau.
Lors des préparatifs de mon mariage, j’ai été convoquée au bureau du juge où j’ai été arrêtée. J’ai passé le jour de mon mariage en prison, dans le même centre de détention secret de la rue Ketabi où Siamak Pourzand était passé quelques jours avant moi. Ce sont les mêmes personnes qui mènent les interrogatoires ; ils ont été renvoyés du ministère du renseignement par le gouvernement réformateur après le scandale des meurtres en chaîne ; ils interrogeaient les journalistes, les intellectuels et les prisonniers politiques sous la direction du juge Saberi Zafarghandi et du procureur général de Téhéran de l’époque, le juge Mortazavi. L’organisation secrète du renseignement opère en parallèle du ministère du renseignement. Pourquoi la police n’aurait-elle pas sa propre organisation parallèle de renseignement alors que les gardes révolutionnaires et le bureau du guide suprême ont les leurs ?
Combien d’histoires sont enterrées dans ce centre de détention, mon histoire, celle de Saberi Zafarghandi, la mienne, la nôtre et celles de ces autres, qui y ont laissé des morceaux de leurs cœurs et de leurs âmes….
Source: http://www.roozonline.com/english/news3/newsitem/archive/2011/may/11/article/a-journalists-solitude.html
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