dimanche 29 mai 2011

Lettre de Nasrine Sotoudeh à son mari Reza Khandan


En attendant de comparaître pour l’annulation de sa licence d’avocate, Nasrine a écrit à son mari.

Mon cher Réza,

On a beaucoup parlé de la solitude en prison. Je veux partager avec toi ma vie en prison, car tu ne t’y attends sûrement pas. Peux-tu imaginer la nouvelle situation en prison créée par la jeune génération ? L’environnement surprenant qui existe en dehors de la prison existe également entre les murs de la prison ; c’est une nouvelle forme d’existence à la fois à l’intérieur de la société et derrière les barreaux. La vie est parfois heureuse et optimiste, parfois calme et sage, parfois attentive et analytique, mais toujours tolérante et prête à accepter le compromis et c’est cette tolérance qui nous aidera à atteindre nos buts. Tu sais mieux que personne que, de la même façon que l’eau qui ruisselle finit, avec le temps, par fracturer la pierre, notre tolérance et notre flexibilité finiront par faire disparaître les obstacles de notre chemin.


Mon cher Réza, tout le monde, en prison, s’interroge sur sa liberté. Ma liberté m’importe bien sûr, mais le plus important pour moi, c’est la justice qui a été ignorée et déniée. Comme beaucoup d’autres prisonniers, je rêve aussi d’un voyage en famille, ou d’une marche libre sous la pluie, je rêve de lever les yeux sur les arbres d’une allée, de passer un après-midi avec mes petits dans un parc. Au fait, te souviens-tu notre joie à nous trois quand tu rentrais à la maison après le travail ? Nous étions une famille heureuse et malgré les menaces durant les interrogatoires préliminaires, lorsqu’on m’a menacée de nous effacer, moi et mon mari, de la surface de la terre, nous sommes toujours heureux ; car celui qui m’interrogeait n’a pas compris que le bonheur résidait dans les cœurs. Il va sans dire que toutes ces choses me font envie et qu’elles sont importantes pour moi, mais rien n’est plus important que ces peines de centaines d’années de prison infligées à mes clients et à d’autres personnes éprises de liberté, accusés de crimes qu’ils n’ont pas commis. Bien que je n’ai eu le privilège d’en représenter qu'un petit nombre, je continuerai à m’opposer à leurs verdicts injustes, que j’aie ou non une licence d’avocate.

On me fait un procès pour annuler ma licence juridique ; une licence que j’ai toujours essayé d’honorer. Même si le gouvernement me retire un jour ma licence, ils ne pourront pas me dépouiller de mon honneur, et c’est tout ce dont j’ai besoin.

Mon Réza bien-aimé, tant que des verdicts tellement injustes existeront et que le tribunal révolutionnaire continuera à énoncer des jugements tellement choquants, avec ou sans licence juridique, je continuerai à m’opposer à ces verdicts injustes. Dis-leur qu’ils peuvent annuler ma licence si ça leur chante, mais qu’ils ne me dépouillent pas de mon droit à la justice.

Prison d’Evine
Bloc des prisonnières politiques
Mai 2011 [Khordad 1390]

Source: Feminist School http://on.fb.me/jfuUp3

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