dimanche 18 mai 2014

Influence de l’OMPI sur la politique de l’Union Européenne – Eldar Mamedov

Signe de la renaissance des liens entre l’Union Européenne (UE) et l’Iran, Edgars Rinkevics, ministre letton des affaires étrangères, s’est rendu à Téhéran le 24 avril. Cette visite est importante car la Lettonie occupera la présidence tournante de l’UE pendant le premier semestre 2014. On a discuté de la coopération régionale entre l’UE et l’Iran, l’Asie centrale et l’Afghanistan lors de la visite indiquant le désir de l’UE de regarder au-delà du programme nucléaire iranien. Cette visite marque une nouvelle étape dans la reconnexion entre l’occident et l’Iran après le voyage en Iran de ministres des affaires étrangères et de délégations parlementaires de plusieurs pays de l’UE dont l’Autriche, la Suède, l’Italie et le Royaume-Uni.

Mais ces avancées ne font pas plaisir à tout le monde. Le Conseil National de la Résistance d’Iran (CNRI), vitrine d’une organisation iranienne dissidente exilée, l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI), classée comme terroriste par l’UE jusqu’en 2009 et par les Etats-Unis jusqu’en 2012, a dénoncé le voyage effectué le mois dernier à Téhéran par le ministre des affaires étrangères Sebastian Kurz. Cette dénonciation a eu lieu deux semaines après que les soi-disant Amis de l’Iran Libre (AIL), réseau informel de députés européens alliés du CNRI, aient organisé une conférence appelant à un changement de régime en Iran et faisant du CNRI-OMPI une alternative démocratique.

C’est le message dont le CNRI et ses associés comme AIL font la promotion depuis des années dans les pays européens où l’OMPI a eu beaucoup plus de temps pour faire du lobbying qu’aux Etats-Unis. La notion d’hostilité irréconciliable entre l’occident et l’Iran était relativement facile à promouvoir sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) mais l’élection du modéré Hassan Rouhani et les progrès significatifs dans les négociations sur le programme nucléaire avec Téhéran mettent toute l’histoire en questions. Donc l’OMPI, qui déteste la notion de rapprochement entre l’Iran et l’Occident, a changé de tactique et a choisi les droits humains pour affronter le régime iranien.

La nouvelle stratégie de l’OMPI est de se servir de l’inacceptable augmentation des exécutions et des incidents comme l’attaque brutale contre les détenus de l’infâme prison Evine de Téhéran comme preuves que les promesses de campagne de Rouhani, réforme et modération, ne sont que du bluff et que la seule façon de changer l’Iran est un changement de régime. Mais les députés européens répétant le mantra de l’OMPI « Rouhani le bourreau »oublient de reconnaître que les peines de mort sont de la compétence de la justice iranienne et pas de son président. Ils rejettent aussi le fait qu’en Iran la politique est importante. La justice est dominée par les durs qui utilisent les exécutions pour saboter l’agenda de libéralisation de Rouhani. Rouhani a prudemment refoulé les plans des conservateurs en matière de politique intérieure, ce qui confirme ses aptitudes de réformateur, mais, en raison des contraintes au-milieu desquelles il est forcé d’agir, l’ordre des étapes est fondamental : il doit d’abord résoudre le problème nucléaire et obtenir le retrait des sanctions, ce qui lui donnera plus d’espace politique pour s’attaquer aux problèmes sociaux et des droits humains.

La bonne nouvelle c’est que les efforts de lobbying de l’OMPI pour contrer la diplomatie iranienne ont peu de chances d’aboutir. Malgré les sommes faramineuses dépensées par l’OMPI pour se faire approuver des élites politiques, l’importance du groupe dans l’UE se limite à une partie du parlement européen. Les décisionnaires en matière d’affaires étrangères de l’UE, le Conseil de l’UE et le Service d’Action Extérieur, ne considèrent pas l’OMPI comme une alternative sérieuse au gouvernement actuel de Téhéran puisqu’elle ne jouit virtuellement d’aucun support dans la population iranienne. La ligne dominante de l’UE favorise clairement la diplomatie avec l’Iran, ce qui, nous l’espérons, conduira à un accord sur le programme nucléaire controversé de Téhéran. Plus les chances de succès augmentent pour la diplomatie, plus l’OMPI perdra de son importance.

Il ne faudrait cependant pas complètement négliger la capacité de l’OMPI à pourrir le climat des relations Europe-Iran. Les institutions comme le Parlement Européen sont par nature ouverts au lobbying de différents groupes et l’OMPI s’est montrée très capable de recruter des supporters. Dans la droite conservatrice, l’OMPI est vue comme défenseur loyal des valeurs d’Israël et de l’occident contre les soi-disant « mollahs fous » iraniens ; dans la gauche progressiste, l’OMPI est vue comme une victime de l’invasion américaine de l’Irak qui a besoin de protection (l’OMPI a créé sa base, Camp Ashraf, en Irak suite à son exil d’Iran).

Le lobbying coûteux de l’OMPI et ses efforts de défense ont aussi fait croire que le groupe défendrait les droits humains et surtout les droits de femmes face au « régime médiéval et barbare des mollahs ». La présence importante des femmes, dont la dirigeante Maryam Radjavi, sert aussi de preuve de son engagement pour l’égalité des sexes et la laïcité. Peu importe que les membres du camp Ashraf, sauf bien sûr Madame Radjavi, soient invariablement habillées en uniforme quasiment militaires et coiffées de foulards, et peu importe les violations prouvées des droits humains de ses membres par l’OMPI.

Au niveau opérationnel, l’OMPI est extrêmement obstinée et agressive. Les lobbyistes de l’OMPI sont constamment présents dans les cafeterias des bâtiments du parlement européen de Bruxelles et de Strasbourg ou devant la salle des réunions plénières de Strasbourg. Il y a des endroits stratégiques pour bombarder les députés européens et leurs assistants de demandes de soutien pour l’OMPI. Mais quelquefois, ils en font trop. Une députée m’a raconté qu’elle avait été obligée de hurler contre un militant de l’OMPI jusqu’à ce qu’il descende de l’ascenseur qu’elle utilisait pour se rendre à son bureau. Même les bureaux des députés sont leur cible : les lobbyistes de l’OMPI n’ont aucun scrupule à y entrer sans y être invités et à distribuer des tracts contre la prétendue « tyrannie islamo-fasciste » de Téhéran.

Il y a une autre menace contre l’OMPI au parlement européen. En mai 2011, plusieurs députés européens venant de tous les horizons politiques, ont envoyé une lettre ouverte à leurs collègues pour les mettre en garde contre la légitimation de l’OMPI et de son programme destructeur, dont certains poids lourds comme le puissant président allemand du comité des affaires étrangères, le chrétien-démocrate Elmar Brok, le dirigeant des sociaux-démocrates, le politicien autrichien Hannes Swoboda, la présidente du partie des libéraux-démocrates européens Annemie Neyts et beaucoup d’autres. La dernière résolution du parlement européen sur l’Iran ne fait pas mention de l’OMPI ou de ses demandes. Et la délégation pour les relations avec l’Iran, qui donne la parole à divers groupes d’opposition, n’a pas offert de plateforme à l’OMPI.

Il faut néanmoins faire plus pour contrer la propagande de l’OMPI qui peut entraver les efforts diplomatiques en direction de l’Iran qui peuvent, sans doute, permettre au gouvernement de réformer de l’intérieur. Les individus et les organisations de la diaspora iranienne, dont la plus grande majorité n’est pas favorable à l’OMPI, pourraient penser qu’affronter l’OMPI lui donnerait une importance injustifiée, mais la réalité est que, l’OMPI étant le seul groupe d’opposition organisé et constamment présent, elle réussit à se faire entendre. La seule façon d’empêcher les députés européens qui désirent sincèrement un changement démocratique en Iran mais manquent d’informations sur la politique iranienne ou l’OMPI de tomber dans le piège de l’OMPI est de leur fournir d’autres sources d’information.

Téhéran doit aussi jouer son rôle. Les chefs de l’OMPI et le gouvernement iranien ne se réconcilieront jamais, le gouvernement islamique a exécuté en masse des membres de l’OMPI suite aux actes terroristes de l’OMPI contre les officiels iraniens qui ont aussi tué des civils et l’OMPI s’est rangée aux côtés du régime de Saddam Hossein durant la brutale guerre Iran-Irak, mais l’organisation ne menace pas le gouvernement iranien actuellement de façon tangible. Se plaindre du groupe auprès de dignitaires étrangers donne de l’Iran une image faible et préoccupée de problèmes secondaires. Par exemple, les liens du parlement européen avec l’OMPI ont été évoqués à chaque réunion de la délégation du parlement européen durant sa visite en Iran en décembre 2013 alors que les membres de cette délégation n’ont jamais soutenu l’OMPI. Dénoncer l’OMPI auprès de ce groupe s’apparente à prêcher des convertis.

Finalement, un accord réussi sur le nucléaire retirera toute importance à l’OMPI et l’UE a un rôle important à jouer dans ce processus. Cet accord devra aussi faire place à des améliorations tangibles à l’intérieur de l’Iran. Jusqu’à présent l’OMPI n’a pas représenté de défi crédible à ce processus mais il ne faut pas lui donner l’occasion de parasiter les soucis légitimes de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien et sur ses politiques des droits humains et civiques.



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