Signe de la renaissance des liens
entre l’Union Européenne (UE) et l’Iran, Edgars Rinkevics, ministre letton des
affaires étrangères, s’est rendu à Téhéran le 24 avril. Cette visite est
importante car la Lettonie occupera la présidence tournante de l’UE pendant le
premier semestre 2014. On a discuté de la coopération régionale entre l’UE et
l’Iran, l’Asie centrale et l’Afghanistan lors de la visite indiquant le désir
de l’UE de regarder au-delà du programme nucléaire iranien. Cette visite marque
une nouvelle étape dans la reconnexion entre l’occident et l’Iran après le
voyage en Iran de ministres des affaires étrangères et de délégations
parlementaires de plusieurs pays de l’UE dont l’Autriche, la Suède, l’Italie et
le Royaume-Uni.
Mais ces avancées ne font pas
plaisir à tout le monde. Le Conseil National de la Résistance d’Iran (CNRI),
vitrine d’une organisation iranienne dissidente exilée, l’Organisation des
Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI), classée comme terroriste par l’UE
jusqu’en 2009 et par les Etats-Unis jusqu’en 2012, a dénoncé le voyage effectué
le mois dernier à Téhéran par le ministre des affaires étrangères Sebastian
Kurz. Cette dénonciation a eu lieu deux semaines après que les soi-disant Amis
de l’Iran Libre (AIL), réseau informel de députés européens alliés du CNRI, aient organisé une conférence appelant à un changement de régime en Iran
et faisant du CNRI-OMPI une alternative démocratique.
C’est le message dont le CNRI et
ses associés comme AIL font la promotion depuis des années dans les pays
européens où l’OMPI a eu beaucoup plus de temps pour faire du lobbying qu’aux
Etats-Unis. La notion d’hostilité irréconciliable entre l’occident et l’Iran
était relativement facile à promouvoir sous la présidence de Mahmoud
Ahmadinejad (2005-2013) mais l’élection du modéré Hassan Rouhani et les progrès
significatifs dans les négociations sur le programme nucléaire avec Téhéran
mettent toute l’histoire en questions. Donc l’OMPI, qui déteste la notion de
rapprochement entre l’Iran et l’Occident, a changé de tactique et a choisi les
droits humains pour affronter le régime iranien.
La nouvelle stratégie de l’OMPI est
de se servir de l’inacceptable augmentation des exécutions et des incidents
comme l’attaque brutale contre les détenus de l’infâme prison Evine de Téhéran
comme preuves que les promesses de campagne de Rouhani, réforme et modération,
ne sont que du bluff et que la seule façon de changer l’Iran est un changement de
régime. Mais les députés européens répétant le mantra de l’OMPI « Rouhani
le bourreau »oublient de reconnaître que les peines de mort sont de la
compétence de la justice iranienne et pas de son président. Ils rejettent aussi
le fait qu’en Iran la politique est importante. La justice est dominée par les
durs qui utilisent les exécutions pour saboter l’agenda de libéralisation de
Rouhani. Rouhani a prudemment refoulé les plans des conservateurs en matière de
politique intérieure, ce qui confirme ses aptitudes de réformateur, mais, en
raison des contraintes au-milieu desquelles il est forcé d’agir, l’ordre des
étapes est fondamental : il doit d’abord résoudre le problème nucléaire et
obtenir le retrait des sanctions, ce qui lui donnera plus d’espace politique pour
s’attaquer aux problèmes sociaux et des droits humains.
La bonne nouvelle c’est que les
efforts de lobbying de l’OMPI pour contrer la diplomatie iranienne ont peu de
chances d’aboutir. Malgré les sommes faramineuses dépensées par l’OMPI pour se
faire approuver des élites politiques, l’importance du groupe dans l’UE se
limite à une partie du parlement européen. Les décisionnaires en matière
d’affaires étrangères de l’UE, le Conseil de l’UE et le Service d’Action
Extérieur, ne considèrent pas l’OMPI comme une alternative sérieuse au
gouvernement actuel de Téhéran puisqu’elle ne jouit virtuellement d’aucun
support dans la population iranienne. La ligne dominante de l’UE favorise
clairement la diplomatie avec l’Iran, ce qui, nous l’espérons, conduira à un
accord sur le programme nucléaire controversé de Téhéran. Plus les chances de
succès augmentent pour la diplomatie, plus l’OMPI perdra de son importance.
Il ne faudrait cependant pas
complètement négliger la capacité de l’OMPI à pourrir le climat des relations
Europe-Iran. Les institutions comme le Parlement Européen sont par nature
ouverts au lobbying de différents groupes et l’OMPI s’est montrée très capable
de recruter des supporters. Dans la droite conservatrice, l’OMPI est vue comme
défenseur loyal des valeurs d’Israël et de l’occident contre les soi-disant
« mollahs fous » iraniens ; dans la gauche progressiste, l’OMPI
est vue comme une victime de l’invasion américaine de l’Irak qui a besoin de
protection (l’OMPI a créé sa base, Camp Ashraf, en Irak suite à son exil
d’Iran).
Le lobbying coûteux de l’OMPI et
ses efforts de défense ont aussi fait croire que le groupe défendrait les droits
humains et surtout les droits de femmes face au « régime médiéval et
barbare des mollahs ». La présence importante des femmes, dont la
dirigeante Maryam Radjavi, sert aussi de preuve de son engagement pour
l’égalité des sexes et la laïcité. Peu importe que les membres du camp Ashraf,
sauf bien sûr Madame Radjavi, soient invariablement habillées en uniforme
quasiment militaires et coiffées de foulards, et peu importe les violations
prouvées des droits humains de ses membres par l’OMPI.
Au niveau opérationnel, l’OMPI
est extrêmement obstinée et agressive. Les lobbyistes de l’OMPI sont
constamment présents dans les cafeterias des bâtiments du parlement européen de
Bruxelles et de Strasbourg ou devant la salle des réunions plénières de
Strasbourg. Il y a des endroits stratégiques pour bombarder les députés
européens et leurs assistants de demandes de soutien pour l’OMPI. Mais quelquefois,
ils en font trop. Une députée m’a raconté qu’elle avait été obligée de hurler
contre un militant de l’OMPI jusqu’à ce qu’il descende de l’ascenseur
qu’elle utilisait pour se rendre à son bureau. Même les bureaux des députés
sont leur cible : les lobbyistes de l’OMPI n’ont aucun scrupule à y entrer
sans y être invités et à distribuer des tracts contre la prétendue
« tyrannie islamo-fasciste » de Téhéran.
Il y a une autre menace contre
l’OMPI au parlement européen. En mai 2011, plusieurs députés européens venant
de tous les horizons politiques, ont envoyé une lettre ouverte à leurs
collègues pour les mettre en garde contre la légitimation de l’OMPI et de son
programme destructeur, dont certains poids lourds comme le puissant président
allemand du comité des affaires étrangères, le chrétien-démocrate Elmar Brok,
le dirigeant des sociaux-démocrates, le politicien autrichien Hannes Swoboda,
la présidente du partie des libéraux-démocrates européens Annemie Neyts et
beaucoup d’autres. La dernière résolution du parlement européen sur l’Iran ne
fait pas mention de l’OMPI ou de ses demandes. Et la délégation pour les
relations avec l’Iran, qui donne la parole à divers groupes d’opposition, n’a
pas offert de plateforme à l’OMPI.
Il faut néanmoins faire plus pour
contrer la propagande de l’OMPI qui peut entraver les efforts diplomatiques en
direction de l’Iran qui peuvent, sans doute, permettre au gouvernement de
réformer de l’intérieur. Les individus et les organisations de la diaspora iranienne,
dont la plus grande majorité n’est pas favorable à l’OMPI, pourraient penser qu’affronter
l’OMPI lui donnerait une importance injustifiée, mais la réalité est que, l’OMPI
étant le seul groupe d’opposition organisé et constamment présent, elle réussit à se faire entendre. La seule façon d’empêcher les députés
européens qui désirent sincèrement un changement démocratique en Iran mais
manquent d’informations sur la politique iranienne ou l’OMPI de tomber dans le
piège de l’OMPI est de leur fournir d’autres sources d’information.
Téhéran doit aussi jouer son
rôle. Les chefs de l’OMPI et le gouvernement iranien ne se réconcilieront
jamais, le gouvernement islamique a exécuté en masse des membres de l’OMPI
suite aux actes terroristes de l’OMPI contre les officiels iraniens qui ont
aussi tué des civils et l’OMPI s’est rangée aux côtés du régime de Saddam
Hossein durant la brutale guerre Iran-Irak, mais l’organisation ne menace pas
le gouvernement iranien actuellement de façon tangible. Se plaindre du groupe
auprès de dignitaires étrangers donne de l’Iran une image faible et préoccupée
de problèmes secondaires. Par exemple, les liens du parlement européen avec l’OMPI
ont été évoqués à chaque réunion de la délégation du parlement européen durant
sa visite en Iran en décembre 2013 alors que les membres de cette délégation n’ont
jamais soutenu l’OMPI. Dénoncer l’OMPI auprès de ce groupe s’apparente à
prêcher des convertis.
Finalement, un accord réussi sur
le nucléaire retirera toute importance à l’OMPI et l’UE a un rôle important à
jouer dans ce processus. Cet accord devra aussi faire place à des améliorations
tangibles à l’intérieur de l’Iran. Jusqu’à présent l’OMPI n’a pas représenté de
défi crédible à ce processus mais il ne faut pas lui donner l’occasion de
parasiter les soucis légitimes de la communauté internationale sur le programme
nucléaire iranien et sur ses politiques des droits humains et civiques.
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