samedi 17 mai 2014

Pourquoi le Canada fait fausse route sur l’Iran – Saeed Kamali Dehghan – 15 mai 2014

Depuis que le Canada a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran, Ottawa a durci le ton sur l’Iran, adoptant une approche similaire à celle d’Israël.

Alors que l’occident a saisi l’occasion de s’engager avec le président modéré Hassan Rouhani, le Canada semble prendre la direction opposée, ignorant non seulement les appels au dialogue de la communauté internationale mais aussi celles des dissidents iraniens qu’Ottawa prétend défendre. Au contraire, le Canada s’aligne avec les radicaux, des groupes d’exilés rusés et la droite israélienne, s’éloignant des réalités du terrain.

En 2012, le ministre des affaires étrangères du Canada, John Baird a décrit l’Iran comme « la plus importante menace à la paix et à la sécurité globales dans le monde d’aujourd’hui » quand il a annoncé sa décision unilatérale de fermer l’ambassade de son pays à Téhéran et d’expulser les diplomates iraniens du sol canadien.

En un an, alors que Rouhani se rendait à New-York pour réorganiser les relations de l’Iran avec l’occident, soutenu par un large mouvement populaire en Iran, Baird a averti : «  des mots gentils, un sourire et une offensive de charme ne remplacent pas des actes. »

Plus tard, alors que l’Iran et six puissances mondiales dont la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, sont parvenus à un accord historique sur le nucléaire à Genève, tentant ainsi de désamorcer les menaces d’une autre guerre au Moyen-Orient, le Canada a fait preuve d’un grand scepticisme.

La grande excuse du Canada, ce sont les droits humains. Bien sûr, l’effarante situation des droits humains en Iran, dont le nombre élevé d’exécutions et d’arrestations arbitraires de militants politiques reste un grand problème.

Mais la politique d’Ottawa qui tend à isoler Téhéran, alors que Rouhani est en but aux pressions des va-t-en-guerre de l’intérieur et des intégristes, dessert le futur de la paix dans le monde ainsi que le bien-être des Iraniens eux-mêmes. En refusant de s’engager avec l’Iran, le Canada tourne aussi le dos aux appels répétés des personnalités iraniennes de l’opposition à exploiter l’occasion unique qui se présente suite à l’élection de Rouhani.

La manifestation sur les droits humains en Iran au parlement canadien concrétise ce qui ne va pas dans l’approche d’Ottawa. L’un des orateurs clé du programme étudiant les violations des droits humains en Iran était Maryam Radjavi, chef du groupe radical exilé de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran, sur la liste des organisations terroristes jusqu’à récemment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni [NDT : et de l’Union Européenne]. L’OMPI, décrite par de nombreux observateurs comme un groupe proche d’une secte, a été condamnée à de nombreuses reprises par les Nations-Unies pour avoir maltraité ses propres membres.

La venue de l’OMPI dans ce programme aurait causé le retrait du rapporteur spécial de l’ONU pour les droits humains en Iran, Ahmed Shaheed a rapporté Ali Gharib de la Nation. Bien que largement critiqué par les autorités iraniennes, Shaheed a produit des rapports étendus sur les violations des droits en Iran, dont les mauvais traitements infligés aux prisonniers, dont certains sont emprisonnés en Iran à cause de leurs liens avec l’OMPI.

« Si l’on veut améliorer les droits humains en Iran, il ne faut pas inviter le chef de l’OMPI, un groupe accusé de violations graves des droits humains à la tribune » a twitté Golnaz Esfandiari qui tient un blog sur l’Iran. L’OMPI reste très impopulaire en Iran à cause de son soutien à l’ancien chef irakien Saddam Hussein pendant les huit années de guerre entre l’Iran et l’Irak. L’OMPI a combattu contre ses compatriotes à cette époque.

Plus tôt ce mois-ci, Eldar Mamedov a détaillé sur Lobelog comment l’OMPI utilise les droits humains comme un casus belli pour embrouiller les complexités de la politique intérieure de l’Iran vue de l'étranger et enrayer le processus de rapprochement entre l’Iran et l’occident. Il semble que le Canada reproduise l’erreur commise par les Etats-Unis et certains pays européens il y a des décennies : se fier à des groupes radicaux comme l’OMPI ou à quelques monarchistes iraniens pour rester au courant de la complexité de l’Iran d’aujourd’hui.

De plus, le Canada admoneste souvent l’Iran sous le prétexte de défendre les militants des droits humains et des personnalités de l’opposition emprisonnés en Iran. Mais ces mêmes personnes, dont 50 prisonniers politiques de premier plan, ont contacté Barack Obama pour lui demander de mettre fin aux sanctions économiques « paralysantes » qui frappent les Iraniens ordinaires et de s’emparer de « la dernière chance » de dialogue avec Téhéran sous le mandat de Rouhani, le Canada semble se boucher les oreilles.

Il ferait mieux d’écouter des voix plus raisonnables, comme celle de son ancien ambassadeur à Téhéran John Mundy qui a déclaré qu’Ottawa commettait une erreur en rompant ses liens diplomatiques.

Soyons clairs : personne ne nie les violations grossières des droits humains en Iran ou les défis à relever pour atteindre un accord permanent sur le nucléaire avec la république islamique. Mais les droits humains ne pourront s’améliorer que par le dialogue. C’est pourquoi la visite récente en Iran de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton, qui y a rencontré plusieurs féministes de premier plan, a eu plus d’effets que les nombreuses déclarations sur les droits humains du Canada.

Les relations du Canada avec l’Iran sont glaciales depuis la révolution islamique de 1979. Elles se sont encore tendues en 2003 quand la photographe Irano-Canadienne Zahra Kazemi est morte d’une fracture du crâne sous la torture en prison en Iran. Mais si Ottawa s’inquiète vraiment du bien-être des Iraniens, dont ceux qui sont persécutés dans le pays, elle devrait réviser sa politique iranienne. Mais pour l’instant, le Canada ne fait que se tromper sur l’Iran.

Source : http://www.theguardian.com/world/iran-blog/2014/may/15/canada-getting-it-wrong-on-iran?CMP=twt_gu

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