jeudi 15 mai 2014

Interviews et Rapports de la prison de Redjaï Shahr de Karadj – Massoud Bastani – 11 mai 2014



Il y a deux semaines, on a rapporté dans certains médias iraniens que les prisonniers de la section 350 de la célèbre prison d’Evine de Téhéran avaient été tabassés par les gardes et les forces spéciales durant une fouille. Les autorités ont officiellement nié la violence mais ont par la suite été contraints d’admettre les excès de la pénitentiaire. Certains prisonniers auraient été transférés à l’isolement. Mais un autre aspect de la brutalité qui s’est fait jour plus tard c’est que certains prisonniers envoyés à l’isolement ont eu la tête rasée.

A la prison de Redjaï Shahr, aussi connue sous le nom de Gohar-Dasht, à environ 40 kms de Téhéran, environ dix prisonniers se sont rasé la tête pour protester contre la violence des gardes d’Evine et en solidarité avec les prisonniers victimes. Mais des jeunes, hommes et femmes, militants politiques en dehors des prisons se sont également rasé la tête en solidarité avec les prisonniers et ont posté leurs photos sur Facebook. Ces rapports ont rallumé l’espoir que le mouvement civique en Iran soit toujours bien vivant et actif.

Parmi les dix prisonniers de Redjaï Shahr qui se sont rasé la tête : Reza Entessari, Hamid-Reza Borhani, Djafar (Shahine) Eghdami, Saïd Razavi-Faghih, Mehdi Mahmoudian, Saïd Madani, Farshid Yadollahi, Missagh Yazdannejad et Mostafa Nili.



J’ai d’abord parlé à Mehdi Mahmoudian et lui ai demandé pourquoi il s’était rasé ; il m’a répondu sans hésitation : « Ma réponse à quiconque essaie de m’humilier a toujours été de me défendre en lui ôtant l’instrument qui lui permet de m’humilier. Alors, quand la justice utilise des tactiques comme raser la tête d’un prisonnier pour l’humilier en tant que personne, il faut lui ôter cette tactique. Je suis en train de leur dire que cette action ne nous humilie pas. » Je lui ai dit : « Mais tu n’es pas à Evine. » Et il m’a répondu : « Je n’ai pas fait ça en solidarité avec Evine ; mon but principal était de retirer cet outil des mains de la justice. Je me souviens qu’en 2009, certains de ceux qui menaient les interrogatoires tentaient d’utiliser certains problèmes personnels des prisonniers pour leur mettre la pression, pour en tirer de faux aveux en mettant l’accent sur les aspects privés. Alors je les ai mis au défi, non seulement en leur présentant moi-même ces problèmes mais j’ai été jusqu’à en inventer pour qu’ils n’essaient pas de me contrôler. » Je lui ai demandé comment son épouse et sa fille réagiraient à sa tête rasée. Mehdi a levé les yeux comme pour imaginer la scène et m’a dit : « J’ai entendu dire que ma fille avait dit qu’elle était fière que j’ai montré ma solidarité avec mes amis. Je pense que je peux ainsi lui expliquer que je suis prêt à payer le prix de mes convictions. Cela lui montrera que je ne prends pas mon idéal à la légère. »



Reza Entessari est un derviche Gonabadi récemment transféré d’Evine à Redjaï Shahr récemment ; il a été condamné à huit ans de prison. « Ecoute, il faut répondre à ce qui se passe et avoir un impact. Ce que j’ai appris en tant que derviche, c’est qu’il faut toujours être solidaire des autres. Se raser la tête, pour les derviches, c’est une vieille histoire. Les derviches dirigeants se sont toujours rasés pour montrer qu’ils étaient différents. En 2009, on a emprisonné un derviche et on l’a rasé ; la réponse des autres membres de la communauté a été de se raser également. Les durs sont en colère quand ils voient une telle solidarité parmi la population. J’espère que cela va se transformer en une plus large protestation. Un moment, j’ai espéré que le ministre du renseignement ayant une vision plus large des évènements ne recourrait pas à de telles pratiques dans de petits établissements comme les prisons, mais, malheureusement, ce sont eux qui l’influencent maintenant. »

Mostafa Nili est un ancien membre du Mouvement Vert d’Iran transféré à Redjaï Shahr l’année dernière. Quand je lui ai demandé pourquoi il s’était rasé la tête, lui aussi m’a répondu très vite. « Je suis resté longtemps à la section 350 d’Evine et j’ai des sentiments forts pour les détenus qui s’y trouvent. J’ai pensé que j’aurais probablement été du nombre de ceux rasés par les gardes de la prison si je m’y étais trouvé. Il faut agir pour neutraliser cet outil utilisé par les gardes. Il y a bien sûr d’autres actions à prendre pour protester dans le monde entier ; pendant la période de l’apartheid en Afrique du Sud, ils remplissaient les prisons. Je pense que de tels actes font craindre à l’autre partie ses prochaines réactions. Quand j’ai entendu que les gens, hors de la prison se rasaient aussi la tête, cela m’a fait plaisir que l’on n’ait pas oublié les prisonniers. C’est très réconfortant. Je crois que réaliser les buts du Mouvement Verts aura un coût pour ceux qui s’y sont engagés. »

Hamid-Reza Borhani est un autre prisonnier politique. Il était en train d’écrire. Il m’avait vu poser des questions aux autres prisonniers, alors, quand je me suis approché, il m’a donné une note dans laquelle il avait écrit son point de vue : « Le mouvement n’humiliera jamais un mode de vie, même s’il ne l’approuve pas. Mais les autres, pour leur part, humilient les modes de vie qui diffèrent du leur. Les nouveaux mouvements protestataires ont réussi à ralentir les plans de répression et les actions du régime. Raser la tête d’un prisonnier est normalement une punition. Les gardes veulent humilier la personne qu’ils rasent. Se raser la tête n’est pas illégal ; alors, les membres des nouveaux mouvements civiques peuvent le faire pour montrer leur protestation et faire passer le message aux autres.”



Le prisonnier suivant que j’ai questionné est Djafar (Shahin) Eghdami. C’était une surprise pour moi car j’avais entendu dire qu’il voulait garder les cheveux longs en prison. Sur ses motivations, il m’a dit : « Ce que les fonctionnaires de la prison ont fait est un acte humiliant ; quand j’ai entendu que la mère du martyr Mostafa Karim-Beigui, tué pendant les manifestations de 2009, avait protesté en se rasant la tête, je me suis immédiatement rasé. Je pense que le mouvement de protestation sociale doit utiliser de telles tactiques qui sont peu coûteuses et offrent une grande possibilité aux autres de le rejoindre. Les militants sociaux et politiques devraient organiser de tels évènements et tenir leurs objectifs. Nous devons montrer que ce que nous demandons est éthiquement supérieur à eux, comme l’a dit la dissidente birmane Aung San Suu Kyi. Le mouvement civique iranien peut prouver, par des actions telles que celle-ci, que la résistance continue. » Quand je lui ai demandé ce que serait la réaction de sa famille en le voyant la tête rasée, il a répondu : « Je l’ai déjà fait une fois quand j’étais à la section 209 d’Evine, alors je ne m’inquiète pas, ils m’ont déjà vu comme ça avant. »



Saïd Razavi-Faghih est le dernier que j’ai interrogé sur ses raisons de se raser la tête. « La principale raison était de montrer ma solidarité avec mes amis de la section 350 qui ont été attaqués et violentés. C’est un acte symbolique de solidarité. Bien sûr, cela ne réduira pas la souffrance de ces prisonniers mais cela ne nous impose pas une grande souffrance non plus. Mais c’est un acte important de solidarité. » Sur la solidarité des personnes extérieures à la prison, il a dit que même si cet acte n’a pas de signification abstraite, il aura un effet social positif. « Je crois que beaucoup d’idéologies, religieuses ou non, ont pu survivre grâce à la solidarité de leurs membres et sympathisants. Les danses de groupe, les rituels des différentes minorités sont des exemples de ces actions unificatrices. » Quand je lui ai demandé ce qu’il aurait attendu s’il avait été parmi les prisonniers de la section 350 que l’on a rasé de force, il m’a répondu : « La moindre des choses est la solidarité. Si l’on n’en est pas capable, au moins, il ne faut pas rester indifférent parce que l’une des plus importantes caractéristiques humaines est de ressentir de la sympathie, de l’empathie avec les autres, et même avec les animaux et la nature. »

Source : http://www.roozonline.com/english/news3/newsitem/archive/2014/may/11/article/interviews-and-reports-from-inside-rajaishahr-prison-in-karaj.html?utm_content=buffera313f&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

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