samedi 24 mai 2014

Pour un changement- Madjid Tavakoli

Madjid Tavakoli, leader étudiant iranien, a été arrêté en décembre 2009. Le 3 mai 2010, il a commencé une grève de la faim pour protester contre son transfert à l’isolement. Il a écrit cette lettre de la prison d’Evine en juin 2010.

Cette note a pour but de promouvoir la participation et le militantisme dans les mouvements populaires du troisième millénaire. Cet essai ne s’adresse pas uniquement les militants iraniens ; il s’adresse à chaque militant participant à des campagnes non-violentes dans le monde entier. La génération d’aujourd’hui devrait connaître parfaitement l’occasion précieuse offerte en Iran d’aujourd’hui, occasion attendue impatiemment de par le monde : une occasion de participer activement à la construction de son propre destin. Vivre une révolution majeure de l’histoire a toujours été le désir le plus profond de nombreuses générations, surtout pour les personnes éprises de liberté. Mais maintenant, nous pouvons prendre l’histoire et notre destin en mains ; nous devrions en être reconnaissants. Dans l’obscurité de cette nuit qui semble ne jamais devoir finir, nous espérons que demain arrivera… que le monde se renouvellera, que le despotisme disparaîtra, que la liberté s’élèvera et que nous en jouirons tous, en mémoire de tous les combattants de la liberté, de tous les prisonniers en général et de tous les martyrs du Mouvement Vert en particulier.

L’espoir est la colonne vertébrale du mouvement non-violent en Iran aujourd’hui ; et c’est par l’espoir que nous bâtirons les fondations de la réalité de demain. La réalité est soutenue par l’espoir. C’est-à-dire que le changement dépend de la volonté et de l’action, comme on dit : « Les révolutions dépendent de la volonté des révolutionnaires. » Maintenant, nous savons que nous sommes en train de forger la réalité de demain ; par notre action, nous construisons notre propre histoire, il faut donc porter notre attention sur un élément essentiel, le savoir et la conscience, pour qu’en combinant espoir et conscience, nous arrivions à notre but. Car à la fin, nous vaincrons !

Une campagne progressiste, depuis sa direction jusqu’à sa base, depuis ses demandes élémentaires jusqu’à ses principes ultimes, apprend constamment, s’intègre et se tonifie ; la critique garantie sa survie et la survie de sa direction, de ses militants et de ses sympathisants. La critique du mouvement devrait être conçue de manière positive et prospective. Deux types de critiques devraient être analysées et différenciées : la critique « interne » et la critique « externe ».

Les dirigeants et les militants connus qui font partie du mouvement, qui sont ses piliers et ses modèles, ne devraient pas critiquer en général. Au contraire, ils devraient se concentrer sur des messages d’espoir et de victoire à toutes les strates du mouvement. Mais, dans les réunions de travail restreintes, ils devraient utiliser la critique du mouvement pour définir de nouveaux plans et de nouvelles politiques. A l’extérieur, les sympathisants devraient le critiquer positivement, tirant des leçons des erreurs passées mais construisant le futur et se concentrant sur les priorités d’aujourd’hui et les nécessités de la prospective. Donc, en identifiant clairement ces deux groupes, les forces internes et externes du mouvement, nous trouverons comment conduire notre information, nos analyses et notre communication au mieux. Par exemple, dans un groupe de 20 militants, le responsable du réseau de militants ou d’opposants, devrait constamment développer l’idée que « Nous allons gagner ! »

Un autre point important : nous devrions être constamment attentifs à la nécessité d’augmenter les atouts sociaux, culturels, politiques et économiques du Mouvement Vert. Vue l’envergure d’une telle campagne nationale, il faut attirer un large public et tenter de les y inclure. L’unité du Mouvement Vert est cruciale pour nous permettre d’atteindre notre but final ; elle doit être construite dans le calme pour permettre sa longévité. Depuis le début, le mouvement a reçu un large soutien des anciennes forces d’opposition, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Au fur et à mesure de l'augmentation du mécontentement et de l'affaiblissement des réformes, les dirigeants de l’opposition ont appelé plus fréquemment au changement.

L’universalité du mouvement a été rendue possible parce qu’il a su inclure les forces tant internes qu'externes mécontentes de la situation actuelle. Cette approche inclusive continuera puisque le Mouvement Vert s’efforce de changer la situation présente pour bâtir un meilleur futur. Aujourd’hui, la question de l’unité à l’intérieur du mouvement tourne autour de deux points : comment préserver l’unité dans la diversité et comment éviter les conflits en maintenant le respect des différences. L’unité, basée sur ces principes, l’unité est construite non sur les différences mais uniquement sur des dénominateurs communs, dont le plus prégnant est notre combat commun contre le despotisme.

Les valeurs et le discours du mouvement populaire doivent être pleins d’espoir. Il est essentiel que nous gardions à l’esprit quelques principes pour exprimer les valeurs du mouvement révolutionnaire du peuple iranien. Les valeurs révolutionnaires sont essentiellement transmises par les séquelles de la révolution. C’est ce principe qui a été largement utilisé dans les révolutions destructrices et sanglantes pour justifier les exécutions révolutionnaires. Insister sur le caractère non-violent du mouvement tout en rejetant la violence du contrecoup d’un changement radical, d’une révolution, deviendra la priorité de tous, surtout des révolutionnaires. Il est donc nécessaire de réfléchir de façon approfondie sur les valeurs qui dirigent nos efforts déployés pour changer la situation actuelle.

L’universalité de nos valeurs, qui englobent toutes les aspirations essentielles découlant des mouvements contemporains, le respect des autres, les valeurs et les droits et le caractère anti-despotique de notre mouvement révolutionnaire, est devenue une valeur fondatrice. A cela s’ajoute le pluralisme et la tolérance, qui garantissent la coexistence pacifique socio-politique de demain. Les valeurs universelles comme la liberté, l’égalité, la fraternité et les droits humains sont devenues la base de l’ordre politique post-religieux, laïc et démocratique. Il faut savoir que le Mouvement Vert du peuple d’Iran est large et populaire ; il a été créé pour changer le statu-quo en une campagne non-violente connue sous le nom de révolution de velours ou de « couleur » pour la liberté et la démocratie, en prolongement de mouvements similaires. Peu importe ce que le régime, sa propagande et ses partisans disent, le fait que le mouvement ressemble à la révolution de velours est une fierté pour nous tous.

Le Mouvement Vert est subversif et veut changer la situation existante. Il repose sur la participation active de la population et le renforcement de la société civile, c’est-à-dire une présence active, objective et consciente dans la société. Il repose sur une large augmentation de la conscience. Il repose sur la participation courageuse dans les rassemblements. Il exige de la persévérance jusqu’à ce qu’on réponde à nos exigences. Il demande de la résistance de la part de ses dirigeants. Dans la phase actuelle de notre mouvement anti-despotique, nous avons une approche subversive, nous affrontons les institutions sur le statu-quo et maintenons une communication ciblée, centrée sur le public.

Bien que l’information et la communication soient des activités pré-révolutionnaires préparant la voie de la révolution, dans la phase de la révolution elle-même, des activités comme des rassemblements réguliers, les groupes d’étude etc. sont toujours importantes. Il faut une approche stratégique sur ces sujets en général, quelle que soit la phase du mouvement que l’on vit.

En ce qui concerne la méthodologie de notre mouvement, la non-violence doit rester notre principe général ainsi que les méthodes pour détourner la violence.

Le mouvement est né de la fraude électorale scandaleuse et massive et la répression qui l’a suivie, arrestations massives, tortures, viol et exécutions ; il arbore la couleur Verte. Le Mouvement Vert cherchait, au début, son « vote » volé ; au fil du temps, comme décrit plus haut, il est devenu un mouvement subversif ne cherchant rien moins qu’un changement de régime et le renversement du guide suprême. Les slogans initiaux en faveur de Moussavi et contre Ahmadinejad sont devenus hostiles au guide et à la tutelle des théologiens. Au fur et à mesure que le fossé s’agrandissait entre l’état d’une part et la nation d’autre part, le peuple a prouvé sa volonté inébranlable d’apporter un changement radical à la république islamique, incarnation de la montée en puissance des fascistes islamiques.

Les sanctions internationales peuvent empirer les difficultés économiques de l’Iran, elles n’auront pas un effet catastrophique sur l’avenir du pays. Sous la règle de la république islamique, les difficultés économiques sont devenues une réalité enracinée. La fin de la dictature en Iran ne peut qu’apporter des lendemains meilleurs. L’arme nucléaire et le programme de missiles balistiques ont enhardi la communauté internationale qui a imposé des sanctions encore plus dures. Les pays libres et les amoureux de la liberté dans le monde entier devraient à la fois augmenter la pression sur le régime et soutenir le peuple iranien dans leur mouvement révolutionnaire anti-despotique. Le premier et principal problème de l’Iran, ce sont les droits humains et le monde devrait mettre ce sujet en tête de ses préoccupations quand il affronte le régime iranien. Le régime fera tout pour détourner l’attention internationale des droits humains pour parler du problème nucléaire.

Une attention particulière doit être portée aux médias et à la communication, axes de la direction du mouvement pour le changement. Il faut dénoncer les tactiques des médias de la république islamique.

Le nouvel ordre politique qui apparaîtra après un changement radical en Iran est un autre sujet crucial. Notre problème aujourd’hui ne se limite pas à des despotes au pouvoir ; il s’étend à tout le système de gouvernement ce qui pourrait permettre l’émergence d’un autre despotisme. Donc, le futur devrait être prévu avec soin et expliqué. Ce faisant, on ne peut se limiter aux grands principes ; il faut plutôt englober des problèmes centraux comme le droit des minorités, les droits de nos communautés ethniques, notre future politique étrangère, le futur de notre industrie nucléaire, et la méthodologie de gouvernance du futur.

Madjid Tavakoli
Juin 2010, prison d’Evine, Téhéran, Iran

Source : http://tavaana.org/en/content/change-majid-tavakoli

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