mardi 20 mai 2014

Les leaders bahaïs iraniens depuis six ans en prison pour leurs convictions religieuses – Ramin Ahmadi


Les sept prisonniers bahaïs avant leur arrestation. De gauche à droite : Fariba Kamalabadi, Vahid Tizfahm, Djamaloddin Khandjani, Afif Naïmi et Mahvash Sabet. Assis : Behrouz Tavakkoli et Saïd Rezaï.

J’ai 14 ans dans le sud de l’Iran à l’été 1977. La plupart des gens n’ont jamais entendu parler de l’ayatollah Khomeiny ou d’une révolution islamique. Le bâtiment du lycée est situé sur un terrain sec. Nous jouons au football chaque jour derrière le lycée. La chaleur est oppressante et, après une heure sur le terrain, nous nous précipitons vers les fontaines et faisons la queue pour que l’eau fraîche lave la poussière et la sueur de nos visages hâlés. Je choisis la queue la plus courte, il n’y a qu’un camarade de classe devant moi. Mais mes autres camarades m’avertissent immédiatement : « Hé, il ne faut pas boire à cette fontaine, pas après lui ». Je demande : « Et pourquoi pas ? » Ils me répondent : « Il est bahaï »

Malgré leur avertissement, je bois à cette fontaine. J’avais soif et c’était la queue la plus courte après tout. Ils me disent que je suis désormais sale, Nadjes ! disent-ils. Ce qui veut dire impur, un mot dégradant utilisé pour décrire des minorités religieuses iraniennes, particulièrement les bahaïs. Mes camarades de classe insistent qu’en tant que musulmans purs et propres, ils ne boiraient jamais à la même fontaine qu’un bahaï. Mon ami bahaï garde le silence, me sourit doucement et s’en va poliment.

Je n’ai pas grandi dans une famille religieuse et je ne savais pas comment me garder « pur ». Plus tard dans la journée, j’ai demandé à ma mère, principale d’un lycée de jeunes-filles, pourquoi mes amis ne pouvaient pas boire à la fontaine où un bahaï avait bu. Elle s’est mise à rire. Elle m’a dit que c’étaient des croyances superstitieuses venant du manque d’éducation. « Ne t’en fais pas. Ce n’est pas important. Ils vivent en marge de notre société.»

Trois ans plus tard, ma mère, comme beaucoup d’autres femmes de son âge qui travaillaient, a été forcée de quitter son emploi. La république islamique battait son plein et ce qu’on appelait « la marge » ressemblait plus au texte principal. C’était nous, les impurs qui étions en marge. L’ayatollah Khomeiny avait réussi à puiser dans certaines de nos tendances culturelles les plus profondes et les plus répugnantes et à les mobiliser pour arriver au pouvoir politique.

Le nouveau régime discriminait les femmes, persécutait les minorités religieuses, surtout les bahaïs, sévissant contre les journalistes, réprimant les avocats et d’autres défenseurs des droits humains et chassant les opposants politiques. L’emprisonnement, la torture et les exécutions étaient partout, et l’étendue des violations des droits humains difficile à appréhender.

Depuis ce temps, j’en suis arrivé à comprendre que ce règne de la terreur reposait sur trois tendances problématiques enracinées dans la culture traditionnelle exploitée de façon experte par l’état policier au pouvoir. La première est la xénophobie et à un engagement rhétorique à l’anti-impérialisme, un aimant pour les universitaires occidentaux, que le gouvernement a utilisé pour détourner toute critique légitime sur ses violations flagrantes contre ses citoyens. La deuxième est la misogynie que le gouvernement a utilisée pour justifier un système d’apartheid basé sur le sexe. La troisième ce sont les préjugés religieux profonds auxquels le gouvernement a eu recours pour assiéger les minorités religieuses d’Iran, et de nouveau, spécialement les bahaïs.

Depuis la révolution, j’ai vécu en marge et j’ai suivi les informations concernant ceux qui étaient marginalisés. Je ne m’intéresse pas au problème nucléaire, aux relations entre les divers éléments du gouvernement révolutionnaire, ni aux cabinets présidentiels qui tournent sur la scène politique iranienne. Je m’intéresse plutôt aux violations quotidiennes et systématiques des droits humains.

Les dernières informations des marges me ramènent à ce jour sur le terrain de football : le 14 mai, il y a eu six ans que les dirigeants bahaïs d’Iran ont été emprisonnés pour nulle autre raison que leur foi. Ces dirigeants sont les victimes les plus évidentes de la population bahaïe qui continue à être brutalement réprimée. La communauté bahaïe est une minorité pacifique, apolitique à qui on ne permet simplement pas de vivre en paix.

Au bout de trois décennies de militantisme pour les droits humains, j’en suis arrivé à la conclusion que le sort de notre minorité bahaïe ne se limite pas à son sort, c’est le sort de tous les Iraniens qui ne sont pas conformes d’une façon ou d’une autre. Leur liberté religieuse, leurs droits humains sont la condition préalable à notre liberté, à nos droits humains. Nous devons comprendre que tous, quels que soient notre sexe, notre ethnie, notre religion, notre orientation sexuelles ou nos idées politiques, nous sommes complètement humains et méritons d’être traités comme tels. La libération des dirigeants bahaïs serait un bon début.

Ramin Ahmadi est médecin à Danbury, Connecticut et l’un des fondateurs du Centre de Documentation sur les Droits Humains en Iran.

Source : http://www.theguardian.com/world/iran-blog/2014/may/19/iran-bahai-minority-jail-religion?CMP=twt_gu

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