lundi 30 mai 2011

dimanche 29 mai 2011

Lettre de Nasrine Sotoudeh à son mari Reza Khandan


En attendant de comparaître pour l’annulation de sa licence d’avocate, Nasrine a écrit à son mari.

Mon cher Réza,

On a beaucoup parlé de la solitude en prison. Je veux partager avec toi ma vie en prison, car tu ne t’y attends sûrement pas. Peux-tu imaginer la nouvelle situation en prison créée par la jeune génération ? L’environnement surprenant qui existe en dehors de la prison existe également entre les murs de la prison ; c’est une nouvelle forme d’existence à la fois à l’intérieur de la société et derrière les barreaux. La vie est parfois heureuse et optimiste, parfois calme et sage, parfois attentive et analytique, mais toujours tolérante et prête à accepter le compromis et c’est cette tolérance qui nous aidera à atteindre nos buts. Tu sais mieux que personne que, de la même façon que l’eau qui ruisselle finit, avec le temps, par fracturer la pierre, notre tolérance et notre flexibilité finiront par faire disparaître les obstacles de notre chemin.


Mon cher Réza, tout le monde, en prison, s’interroge sur sa liberté. Ma liberté m’importe bien sûr, mais le plus important pour moi, c’est la justice qui a été ignorée et déniée. Comme beaucoup d’autres prisonniers, je rêve aussi d’un voyage en famille, ou d’une marche libre sous la pluie, je rêve de lever les yeux sur les arbres d’une allée, de passer un après-midi avec mes petits dans un parc. Au fait, te souviens-tu notre joie à nous trois quand tu rentrais à la maison après le travail ? Nous étions une famille heureuse et malgré les menaces durant les interrogatoires préliminaires, lorsqu’on m’a menacée de nous effacer, moi et mon mari, de la surface de la terre, nous sommes toujours heureux ; car celui qui m’interrogeait n’a pas compris que le bonheur résidait dans les cœurs. Il va sans dire que toutes ces choses me font envie et qu’elles sont importantes pour moi, mais rien n’est plus important que ces peines de centaines d’années de prison infligées à mes clients et à d’autres personnes éprises de liberté, accusés de crimes qu’ils n’ont pas commis. Bien que je n’ai eu le privilège d’en représenter qu'un petit nombre, je continuerai à m’opposer à leurs verdicts injustes, que j’aie ou non une licence d’avocate.

On me fait un procès pour annuler ma licence juridique ; une licence que j’ai toujours essayé d’honorer. Même si le gouvernement me retire un jour ma licence, ils ne pourront pas me dépouiller de mon honneur, et c’est tout ce dont j’ai besoin.

Mon Réza bien-aimé, tant que des verdicts tellement injustes existeront et que le tribunal révolutionnaire continuera à énoncer des jugements tellement choquants, avec ou sans licence juridique, je continuerai à m’opposer à ces verdicts injustes. Dis-leur qu’ils peuvent annuler ma licence si ça leur chante, mais qu’ils ne me dépouillent pas de mon droit à la justice.

Prison d’Evine
Bloc des prisonnières politiques
Mai 2011 [Khordad 1390]

Source: Feminist School http://on.fb.me/jfuUp3

Extrait de la déclaration des prisonnières politiques d’Evine à l’occasion de la journée de la femme


Voilà presque deux ans qu’ont eu lieu les élections présidentielles controversées de 2009. Durant ces deux années, notre pays a été témoin de beaucoup de troubles et d’affrontements dans la rue. Beaucoup de nos concitoyens ont été tués dans les rues de nos villes et beaucoup d’hommes et de femmes ont été injustement emprisonnés.

Voilà deux ans que, loin de nos foyers et des espoirs de liberté pour demain, nous passons nos journées dans la nuit, dans cet espace entouré de murs.

Notre espoir d’un futur radieux est ce qui nous soutient et nous empêche de plier sous l’oppression et les persécutions qui nous sont infligées.

Nous sommes des prisonnières politiques arrêtées après les élections, emprisonnées sur de fausses accusations, condamnées à des années de prison loin de nos foyers.

Les conditions ont été très difficiles pendant notre détention. On n’a pas tellement prêté attention aux épreuves que nous avons endurées. Nous pensons de notre devoir d’informer le public d’au moins une infime partie des agissements illégaux  à notre encontre.

Malheureusement, parce que tout dans ce pays est basé sur la séparation des sexes, ce qui s’est passé pendant les interrogatoires n’était dû qu’à notre sexe. Pour les hommes qui nous interrogeaient, être  seuls dans les salles d’interrogatoire avec des prisonnières relatant leurs relations sexuelles devrait être une insulte pour le système islamique. Ils tentaient de forcer les détenues à faire de faux aveux détaillés contre elles-mêmes et d’autres en utilisant des accusations sexuelles et des calomnies. Il n’y a bien sûr que Dieu et ceux qui nous interrogeaient pour porter témoignage, mais des dizaines de feuilles écrites pendant les interrogatoires prouvent ce que nous avançons. D’une façon générale, pour interroger les prisonnières et briser leur résistance, on a eu recours à des insultes verbales à caractère sexuel et à l’évocation de leurs relations sexuelles. Donc, nous devons dire en toute franchise que nos âmes et nos esprits n’ont cessé d’être violés. Les détails ne pourront être relatés que lors d’audiences privées avec les autorités judiciaires.

Suivant la loi, l’usage de la torture pour obtenir des aveux est illégal. Néanmoins, la torture est facilement utilisée et fait partie de la normalité dans les sections supervisées par le ministère du renseignement et les gardes révolutionnaires. Les gifles, les coups sur la tête, le jet d’objets à la tête de la détenue, les coups de poing et de pied, etc… sont quelques unes des méthodes utilisées contre les femmes arrêtées après les élections.

Malheureusement à ce jour, personne n’a rapporté ces faits ou n’en a parlé.

Contrairement à la loi, la plupart des prisonnières ont été gardées à l’isolement pendant des mois. C’est une forme de torture mentale et c’est illégal. Après l’arrestation, les détenues n’avaient pas le droit de contacter leurs familles et n’avaient pas de droit de visite. Beaucoup de familles ignoraient où elles se trouvaient. Les détenues n’avaient pas le droit de rencontrer leurs avocats et ne les voyaient que durant les procès. Durant les procès, les plaidoiries n’étaient pas autorisées et les juges prononçaient leurs verdicts sans prêter aucune attention à la défense ou à son plaidoyer. Les détenues n’ont plus droit de communiquer téléphoniquement depuis septembre 2010. Beaucoup de prisonnières ont des enfants en bas âge et les conversations téléphoniques étaient le seul contact qu’elles avaient avec eux.

Il y a actuellement 32 prisonnière dans la petite salle du bloc méthadone de la prison d’Evine. D’après la direction de la prison, c’est une situation transitoire et elles ne vont pas tarder à être transférées à Varamine. D’après ce que l’on entend de la situation de la prison de Varamine, c’est un grand sujet d’inquiétude pour nous et nos familles.

Source: http://www.kaleme.com/1390/03/07/klm-59410/

samedi 28 mai 2011

Lettre de Zia Nabavi au responsable du conseil des droits humains de la justice iranienne


A Monsieur. Mohammad Javad Ardeshir Laridjani, responsable du conseil des droits humains de la justice iranienne.

La lettre que vous avez devant les yeux a une longue histoire. Quand je retourne en pensée en octobre 2010, date de mon exil à la prison Karoun, je revois les nombreux instants passés à envisager cette lettre. Il va bien sûr sans dire que la différence entre imaginer et écrire est importante. L’incertitude est une caractéristique de la conduite humaine qui crée souvent doute, suspicion et appréhension et qui entraine l’inefficacité

Ecrire une lettre n’est absolument pas facile. Chaque fois que je prends un stylo pour mettre sur le papier quelques lignes de critique, je me demande si c’est la bonne chose à faire, je me demande le but de cette action et si la situation pourra un jour changer. Je remets mon rôle en question : qui suis-je pour critiquer ? Suis-je capable d’exprimer mes pensées noir sur blanc ? Mes paroles auront-elles un poids ?

Croyez-moi, durant les mois qui ont suivi mon exil la prison de Karoun, j’ai souvent lutté pour savoir ce que je devais faire et comment réagir face à la situation inhumaine, insupportable et désastreuse de cette prison. Bien sûr, depuis mon arrivée, j’ai discuté la situation de la prison avec les autorités pénitentiaires et judiciaires, ce qui a eu quelques effets positifs. Mais la situation de cette prison est tellement hors du domaine de ce qui est considéré comme acceptable que je doute qu’en dépit de toute la bonne volonté des autorités pénitentiaires, le problème puisse être résolu. Il faut une nouvelle approche d’une autorité supérieure pour apporter les changements tellement nécessaires.

Mohammad Javad Ardeshir Laridjani, responsable du conseil des droits humains de la justice iranienne,

Je suis bien conscient qu’en lisant cette lettre, ce sont mes motivations à l’écrire qui détermineront votre réaction. J’ose espérer que cette lettre aura un effet positif, que vous lirez cette lettre avec empathie. Je réalise cependant que votre réaction à cette lettre est hors de mon pouvoir. Franchement, toute tentative de ma part pour défendre des motivations qui ne sont même pas claires pour moi serait pour le moins immorale et incorrecte. Peut-être vaut-il mieux que vous ignoriez totalement mes motivations et que vous la lisiez objectivement.

Je peux vous assurer, et c’est un euphémisme, que je n’ai pas exagéré mon exposé sur la situation dans la prison de Karoun. Il se peut que j’ai omis de signaler quelques uns des inconvénients, mais je n’ai rien écrit qui ne soit véridique. J’ai choisi de limiter mon rapport à mon expérience personnelle au bloc 6 de la prison de Karoun où je suis actuellement détenu.  Il va sans dire qu’en plus des problèmes généraux de ce bloc, j’évoque aussi les problèmes personnels liés à mon dossier. Comme mon dossier n’est pas le sujet de cette lettre, je n’approfondirai pas ce sujet.

Le problème le plus important auquel la prison de Karoun d’Ahvaz doit faire face, c’est sa surpopulation ; par exemple, dans le bloc 6 où je suis actuellement incarcéré. Si l’on se base sur le nombre de lits, ce bloc a une capacité maximale de 110 places ; en moyenne, il y a plus de 300 prisonniers en même temps, soit trois fois la capacité autorisée. Avec une telle surpopulation, il est évident que nous avons de nombreux problèmes pour faire tenir tout le monde, même debout, ce qui en oblige beaucoup à dormir par terre. (J’ai moi-même dormi sans lit pendant 6 mois). Un tiers des prisonniers dort dehors dans la cour et la totalité de l’aire de promenade est recouverte de couvertures. De plus, un grand nombre de prisonniers sont contraints de rester dehors jour et nuit, quel que soit le temps. Et quand il pleut durant la nuit, beaucoup de ces prisonniers sont forcés à trouver refuge dans les cuisines, les salles de bains et les toilettes de la prison. Croyez-moi, la simple observation de ces faits est horrible. En ce moment, la seule chose qui me réjouisse est d’être encore en vie. Je suis reconnaissant de n’avoir jamais eu à dormir dehors dans la cour ou dans les toilettes comme tant d’autres prisonniers.

La surpopulation de la prison a créé des problèmes pour l’intégration des prisonniers. Bien que le bloc 6 soit nommé « quartier de sécurité », il n’y a qu’un prisonnier sur six détenu pour des crimes politiques ou liés à la sécurité. Les autres détenus de ce bloc le sont pour vol ou crime lié à la drogue. L’une des trois salles de la prison a été dévolue aux prisonniers politiques et aux prisonniers détenus pour crime lié à la sécurité. Mais en dehors des quartiers de nuit, tous les prisonniers partagent la cour, les cuisines, les douches et les toilettes.

Les prisonniers inculpés de vols et de crimes liés à la drogue ont des problématiques qui leur sont propres comme la dépendance à la drogue, des maladies dangereuses et d’autres problèmes d’hygiène qu’on ne retrouve habituellement pas parmi les prisonniers politiques, ce qui rend difficile la promiscuité avec ces prisonniers.

Il convient de mentionner qu’il y a une autre prison à Ahvaz pour les inculpés de crimes financiers. Cette prison a une situation hygiénique bien meilleure et il aurait été, sans aucun doute, plus logique d’y incarcérer les prisonniers politiques et les prisonniers pour crimes liés à la sécurité.

La cour de promenade du bloc 6 mesure 8m x 15m ; en raison de la surpopulation, cela veut dire 3 prisonniers au mètre carré durant les promenades. Il faut avoir connu la prison pour comprendre la torture représentée par la privation de promenade où l’on peut un peu allonger ses jambes. De plus, la cour est couverte de solives de fer formant un réseau. Ce dispositif a été mis en place pour empêcher les évasions mais il limite le renouvellement de l’air et augmente la chaleur qui est déjà extrême durant les étés infernaux d’Ahvaz ; la cour se transforme alors en four. Il n’y a malheureusement pas d’ombre et les prisonniers sont donc exposés au fort rayonnement solaire. Le plafond en résille prive également les prisonniers du petit plaisir de regarder le ciel bleu et nous nous sentons comme des animaux en cage.

L’hygiène n’existe pas dans la prison. Que peut-on attendre de plus d’une prison aussi ancienne, surtout si l’on prend en considération la surpopulation et les types de prisonniers qui y sont détenus ? Certains prisonniers menaient une vie simple à l’extérieur et sont donc habitués à cette situation ; ils n’ont pas eu de problème pour s’adapter à leur environnement. Ces personnes ne prennent jamais de douche, ne changent pas de vêtements, n’utilisent pas de savon et marchent pieds nus, même pour aller aux toilettes ou ailleurs. Etant donnée leur présence, je suis sûr que vous commencez à vous rendre compte des conditions d’hygiène dans ce bloc. Les sanitaires du bloc 6 sont aussi très sales et en dessous des standards. Pour aller aux toilettes ou prendre une douche, il faut attendre des heures. L’eau de la douche est souvent froide. La salle d’eau consiste en une ligne de six vieux robinets qui s’écoulent dans une rigole hautement contaminée. Il est également étrange que les sanitaires soient utilisés pour différents usages. Essayez d’imaginer un espace de deux mètres carrés où quelqu’un se lave les mains, un autre boit de l’eau, un autre se brosse les dents, un autre fait la vaisselle, un autre fait ses ablutions, un autre se rase, un autre lave du riz pendant qu’un dernier se mouche. Même si y penser donne envie de vomir, ceux qui vivent cette expérience ne peuvent y échapper.

Un autre problème important du bloc 6 est le système des égouts. En raison d’un système d’égouts inapproprié, les prisonniers ont pris l’habitude de vivre en compagnie de rats et de cafards dans ce bloc. Il y a un problème plus sérieux, c’est que les égouts s’engorgent de temps en temps, se déversent dans la cour et recouvrent l’espace utilisé par les détenus pour dormir. L’odeur envahit tout l’extérieur et persiste pendant des heures. Honnêtement, de temps en temps, la contamination et la puanteur rendent tellement fous qu’une seule bouffée d’air frais semble un rêve inaccessible.

Bien que respirer le même air plein de fumée de cigarette que beaucoup d’autres prisonniers dans un espace confiné soit en soi une torture, quand il est mêlé à la puanteur des égouts il en devient encore plus insupportable ; surtout s’il commence à beaucoup pleuvoir car la cour se transforme alors en piscine et il est impossible de se rendre aux sanitaires et aux toilettes sans charrette.  Ce qui est déchirant, c’est que même si les égouts couvrent tout l’espace extérieur, les prisonniers doivent quand même y installer leurs affaires, y dormir et y manger.

Je ne parlerai pas de la nourriture en prison pour que mes observations ne soient pas interprétées comme des préférences personnelles. Il suffit de dire que l’honorable cuisinier de la prison ne prend même pas la peine d’éplucher les pommes de terre qu’il utilise pour cuisiner.  La prison procure rarement des fruits frais et, en moyenne, après beaucoup de discussions, chaque prisonnier bénéficie au mieux d’un kilo de fruits toutes les six semaines. Ce qui rend les maladies dues au manque de vitamines très courantes en prison.

Cuisiner en prison comporte toute une série de problèmes. Tout d’abord, il n’y a pas de réfrigérateur pour stocker le frais. Ce qui rend la cuisine problématique, surtout durant les mois chauds. Les réfrigérateurs de la prison ont été supprimés après que des inspecteurs y aient découvert de la drogue.  C’est un peu comme retirer tous les véhicules de la rue sous prétexte qu’on aurait découvert de la drogue dans l’une d’elles. La cuisine, en plus d’être sale, est très petite ; elle fait environ 3 mètres carrés.

Il existe également beaucoup de problèmes de communication. Les prisonniers n’ont  pas accès aux journaux ou aux magazines et n’ont pas le droit d’en recevoir de l’extérieur. La direction de la prison restreint également l’accès aux livres.  Je n’ai personnellement pas pu recevoir de livres qui m’auraient intéressés. Les livres ne posent pas de controverses dans les domaines de la philosophie, de la physique ou de la littérature. En ce qui concerne l’accès au téléphone, chaque prisonnier du bloc 6 a droit à trois minutes par semaine. Il va sans dire que trois minutes, ce n’est rien pour quelqu’un dont les êtres chers se trouvent à des milliers de kilomètres. Et même ces quelques minutes ont été supprimées pour tous les prisonniers en raison de circonstances imprévues. Les prisonniers sont au secret. J’ai été privé de téléphone à la prison de Karoun pendant longtemps, on m’a interdit de quitter l’endroit où je dormais et d’utiliser la bibliothèque de la prison.

Ce qui se passe derrière les murs de cette prison est  « indescriptible » et impossible à rapporter. Avant d’être forcé à le vivre, je n’en avais jamais fait l’expérience, je ne l'avais jamais  lu, je n'en avais jamais entendu parler. On n’a jamais dépeint une telle prison dans un livre ou un film. Il m’était inconcevable qu’un tel endroit puisse exister. Je suppose que cette tragédie vient du fait que certains sont obligés de passer tous les instants de leurs vies dans des conditions tellement insupportables, détenus dans un environnement petit, confiné et contaminé, surpeuplé de toutes sortes de prisonniers qui s’opposent. J’ai du mal à décrire un endroit manquant d’air frais ou d’un petit espace où les prisonniers puissent marcher un peu.

Durant les derniers mois que j’ai passés dans cette prison, j’ai parfois passé des jours et des nuits à mettre mes pensées et ma conduite en question, ce qui m’a amené à des conclusions surprenantes.  J’ai l’impression que ma vie glisse lentement d’un état où je vivrais comme un être humain à un état où je suis traité comme un animal. L’instinct de préservation et le désir de survie sont devenus mes principales motivations et mon souci principal. J’ai l’impression que rien n’existe que la survie. Quand je quitte la pièce par exemple, je prends grand soin à n’avoir de contacts avec personne. Si quelqu’un dormant dans la cour s’adresse à moi, je fais semblant de n’avoir pas entendu et je l’ignore brutalement. Quand je fais la queue pour les douches ou les toilettes, je lutte comme un humain préhistorique tout en tentant sans arrêt de limiter au maximum tout contact. Croyez moi quand je vous dis que je ne suis pas du tout chichiteux, j’ai l’impression qu’il faudrait même avoir peur de respirer ici. Durant les froides nuits d’hiver, quand je regardais deux ou trois prisonniers se tortiller sous une couverture humide et sale dans leur sommeil, j’étais choqué de mon manque de pitié et de compassion pour les autres. J’avais l’impression que j’avais complètement accepté que tel devait être le sort du monde et de l’humanité en général. Comment faire preuve de morale dans un endroit où les humains n’ont pas le courage, ne serait-ce qu’un instant, de se mettre à la place des autres ?

J’en ai peut-être dit assez, mais il reste tant à dire. J’ai peur qu’en dire plus ne rende cette lettre moins efficace, alors je n’en dirai pas plus. En écrivant cette lettre, mon espoir est de porter à l’attention des autorités les conditions catastrophiques pour que la situation de la prison de Karoun s’améliore. La situation est tellement malheureuse qu’on pourrait la décrire comme « à la frontière entre l’humanité et la barbarie. »

Zia Nabavi
Prison de Karoun, Ahvaz
Source : http://persian2english.com/?p=21915

Semaine 21 pour un Iran Libre et Démocratique

Nouvelles des Prisonniers
A-Transferts
  • Rassoul Badaghi transféré à l’isolement pour avoir fait la grève de la faim.
  • Arjang Davoudi transféré au bloc général de Radjai Shahr ; ses codétenus arrêtent leur grève de la faim.
  • Hashem Khastar, enseignant retraité, transféré lundi à la prison Vakilabad de Mashhad du bloc des prisonniers politiques au bloc 4 qui abrite les criminels.
  • Mostafa Tadjzadeh finalement hospitalisé après de nombreuses demandes.
  • 3 condamnés à mort kurdes transférés à l’isolement samedi.
B- Arrestations/Incarcérations
  • Amir Houshang Amirtabar, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Navid Assadi, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Mahmoud Badavam, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Le Docteur Ghorban Behzadian Nejad, ancien secrétaire d’état et conseiller de Moussavi, convoqué à Evine pour purger sa peine de 5 ans.
  • Afrouz Farmanbardari, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Soheil Ghanbari, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Fouad Moghaddam, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Vahid Mokhtari, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Kamran Mortezaï, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Aminollah Mostaghim, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Shahin Negari, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Danial Ojeï, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe et torturé pendant 3 jours.
  • Heshmat Rezaï arrêté à Paveh.
  • Sadaf Sabetian, Bahaïe, arrêtée dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Farhad Sadeghi, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • Réza Safavi, membre de l’Association Islamique des Enseignants d’Ispahan et membre de la campagne Moussavi, arrêté lundi par 6 gardes à son domicile.
  • Davoud Soleymani de retour à Radjaï Shahr après 5 jours de permission ; il est incarcéré depuis juin 2009.
  • Ramin Zibaï, Bahaï, arrêté dimanche pendant le raid sur l’Institut d’Education Supérieure Bahaïe.
  • En tout 30 professeurs de l’université bahaïe on line détenus.
  • 10 arrestations au moins lors des funérailles de Nasser Hedjazi.
  • 33 arrestations lors des commémorations de Naghadeh jeudi.
C- Libérations
  • Amir Houshang Amirtabar, Bahaï, relâché sous caution.
  • Vahid Mokhtari, Bahaï, arrêté dimanche libéré lundi.
  • Danial Ojeï, arrêté dimanche, est abandonné au bord d'une autoroute en piteux état.
  • Parivash Sadvati, veuve du Dr. Fatemeh ancien ministre, libérée dimanche sous caution.
  • L’avocate Fatemeh Tamimi libérée sous caution samedi.
  • Hassan Younessi, fils d’un ancien ministre de l’intérieur libéré sous caution.
D-Autres Nouvelles
  • Abbas Amirifar, conseiller d’Ahmadinejad fait une tentative de suicide en prison.
  • Les randonneurs américains autorisés lundi à appeler chez eux pendant 5 mn. C’et le troisième appel depuis le début de leur détention.
  • Les 26 signataires de la lettre signalant la torture dans les prisons iraniennes menacés par l’IRGC et le ministère du renseignement.
Nouvelles de l’injustice en Iran
  • La cour d’appel confirme le verdict de 3 ans de prison à l’encontre d’Ashraf Alikhani.
  • Houschang Fanayan, bahaï, condamné à 4.5 ans de prison.
  • Habib Farahzadeh, étudiant expulsé, condamné lundi à 4 ans et 5 mois de prison et 74 coups de fouet.
  • Saïdeh Kordinejad, étudiante de l’université de Téhéran et militante du camp Moussavi, condamnée à 2 ans de prison lundi.
  • Yasser Massoumi condamné en appel à 5 ans de prison.
  • Salah Mostafapour condamné à 20 ans de prison par un tribunal de Saqqez.
  • Peyman Roshanzamir, un bloggeur est jugé et refuse de se défendre pour protester contre les procédures injustes.
  • Exécution d’un contrebandier samedi à Ahvaz.
  • 3 exécutions samedi à Ispahan.
  • 3 exécutions dimanche à Oroumieh.
  • Lundi, un trafiquant de drogue est pendu à Salmas.
  • 40 étudiants, victimes lors de l’attaque de la cité universitaire en juin 2009, condamnés au total à 10 ans de prison.
  • Une pendaison à Behbahan mardi matin.
  • Nouvelle condamnation à l’aveuglement par la cour suprême, cette fois-ci sans acide.
  • Il y aurait eu 70 exécutions secrètes ces 2 derniers mois à la prison de Vakilabad de Mashhad.
  • Une pendaison publique à Ghazvine jeudi matin.
  • 4 pendaisons publiques à Shiraz jeudi matin.
  • 2 pendaisons pour trafic de drogue à Sari jeudi matin.
  • 4 pendaisons à Yassoudj jeudi matin.
  • 1 pendaison vendredi à Salmas.
  • 1 pendaison vendredi à Radjaï Shahr.
L’université - La culture
  • Delara Darabi, étudiante de l’université du Mazandaran, expulsée.
  • Reza Ghazi Nouri expulsé de l’université de Téhéran.
  • Mohammad Rassoulof gagne le prix de la mise en scène de la sélection « Un Certain Regard » du festival de Cannes.
  • L’institut d’éducation supérieure bahaï attaqué dimanche.
L’économie de l’Iran
  • 5 milliards de dollars retirés du budget pour payer les subventions.
  • 35 prisons en construction à travers le pays.
  • Les patentes vont augmenter de 15%.
  • 93% des aéroports iraniens ne sont pas rentables.
  • Il n’y a plus d’argent pour les subventions à l’agriculture et à l’industrie cette année.
  • Le terminal pétrolier de Kharg pourrait fermer pour raisons de sécurité.
Les manifestations
  • Les agriculteurs de la région d’Ispahan se rassemblent lundi devant le palais du gouverneur pour demander plus d’eau.
  • Les éleveurs de poulets se rassemblent devant le ministère du commerce.
  • Nouvelles manifestations des ouvriers du textile du Mazandaran.
  • Plus de 15.000 personnes se rassemblent pour rendre hommage à Nasser Hédjazi, gardien de but légendaire et en profitent pour scander des slogans contre le régime.
  • Grève des ouvriers des briqueteries Kiln à Bokan pour salaires impayés.
  • Il y avait 95.000 salariés à South Pars, il n’en reste que 8.000.
  • Les ouvriers de Kashan sont en grève.
L’Iran à l’étranger
  • Les Usa vont accorder plus facilement des visas aux étudiants iraniens annonce Clinton.
  • Le Koweït interdit les visas pour les Iraniens.
  • Bahrein suspend son accord sur le gaz avec l’Iran.
  • La Suisse ne ravitaillera plus les avions d’Iran Air en carburant. L’Iran compte attaquer en justice.
  • Ahmadinejad ne se rendra pas à la conférence de l’OPEC en juin.
  • Les USA imposent de nouvelles sanctions à 7 nouvelles entreprises du domaine de l’énergie travaillant avec l’Iran, dont la compagnie nationale vénézuelienne.
  • 43 pays, dont certains appliquent des sanctions sont présents à la foire pétrochimique de Téhéran.
  • Les frères musulmans cherchent à s’allier à l’Iran.
  • L’union européenne suspend l’interdiction de voyager du ministre des affaires étrangères iranien pour permettre le dialogue.
  • L’Espagne fait avorter une vente d’armes à destination de l’Iran par l’intermédiaire du Venezuela.
  • Le Koweït arraisonne un bateau chargé d’armes de contrebande à destination de l’Iran.
  • Plus de 200 sociétés internationales commerçant avec Israël commercent également avec l’Iran.
  • Une banque iranienne basée à Hambourg annonce qu’elle continuera à commercer avec l’Iran en dépit des sanctions.
La politique en Iran
  • Ahmadinejad retiré de la liste des orateurs du 14 juin.
  • Hamid Baghaï, nommé vice-président par Ahmadinejad, est condamné à 4 ans d’interdiction de travail administratif.
  • Un commandant des gardes révolutionnaires menace Ahmadinejad de révéler comment il a gagné les élections.
  • Naghdi déclare que la bassidj et les gardes révolutionnaires soutiennent le gouvernement d’Ahmadinejad.
  • Le ministre du renseignement contredit Fars News : aucun fonctionnaire parmi les espions travaillant pour les USA.
  • Laridjani est réélu à la tête du parlement.
  • Ahmadinejad doit se rendre à Qom jeudi pour inaugurer de nouvelles installations.
  • Les députés continuent de protester contre les chiffres officiels du chômage.
Nouvelles en vrac
  • Le gardien de but légendaire et supporter de Moussavi,  Nasser Hédjazi décède à l’âge de 62 ans d’un cancer du poumon.
  • Explosion à la raffinerie d’Abadan mardi juste avant la visite d’Ahmadinejad ; le directeur n’assistait pas à l’inauguration la trouvant prématurée. Il y a au moins 4 morts .
  • Mardi les forces de sécurité ramassent les antennes satellites à Ekbatan et Apadana (ouest de Téhéran).
  • 4 morts lors de clashes avec les forces de sécurité dans la région de Kerman jeudi.
  • 1 femme tuée, une autre personne blessée lors d’accrochages jeudi près d’Oroumieh.
  • C’est Siemens qui est accusé d’être à l’origine de l’explosion de la raffinerie endommagée.
  • Vendredi, un Kurde frontalier est abattu.
Des nouvelles de Nasrine
  • Après 9 mois, Réza Khandan, Mehraveh et Nima autorisés à rencontrer Nasrine le 24 mai.

Sur le blog cette semaine




dimanche 22 mai 2011

Documentaire sur la vie de jeunes étudiantes iraniennes



Lettre de Nasrine Sotoudeh à son fils Nima

19 mai 2011: Nasrine Sotoudeh, avocate et défenseur des droits humains incarcérée à la prison d’Evine depuis 9 mois, a écrit une lettre à son fils de 3 ans Nima, une lettre écrite sur des mouchoirs en papier puisqu’elle n’a pas de papier.



Bonjour mon très cher Nima,

Il est si difficile de t’écrire une lettre mon cher Nima. Comment te dire où je suis alors que tu es tellement innocent et trop jeune pour appréhender la vraie signification de mots comme prison, arrestation, verdict, jugement, injustice, censure, oppression et leurs antonymes libération, liberté, justice, égalité, etc…

Comment être sûre que j’emploie bien des mots que tu puisses comprendre aujourd’hui et non pas dans le futur ? Comment expliquer qu’il ne dépend pas de moi de rentrer à la maison, que je ne suis pas libre d’accourir vers toi, quand je sais que tu as dis à ton père de me demander de finir mon travail pour pouvoir rentrer à la maison ? Comment t’expliquer qu’aucun « travail » ne pourra jamais me tenir si éloigné de toi ? Comment te dire qu’en fait, aucun « travail » n’a le droit de me garder loin de toi pendant si longtemps ; qu’aucun « travail » n’a le droit d’ignorer de façon si flagrante les droits de mes enfants ? Comment t’expliquer que ces 6 derniers mois, on ne m’a pas accordé le droit de te voir ne serait-ce qu’une heure ?

Que devrais-je te dire mon fils? La semaine dernière tu m’as demandé : « Maman, tu rentres à la maison avec nous aujourd’hui ? » et j’ai été contrainte de te répondre au vu et su des agents de sécurité : « Mon travail va encore durer un peu, alors, je rentrerai à la maison plus tard. » Tu as alors hoché la tête comme pour dire que tu comprenais, tu as pris ma main et tu y a déposé un doux baiser enfantin de tes petites lèvres.

Mon cher Nima, ces six derniers mois, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer par deux fois: la première, quand mon père est mort et que l’on m’a interdit le deuil et d’assister à ses funérailles, la deuxième, le jour ou tu m’as demandé de renter à la maison et où je n’ai pas pu t’y accompagner. Je suis rentrée dans ma cellule et j’ai sangloté sans pouvoir me retenir.

Nima, mon chéri, dans les dossiers de garde d’enfants, les tribunaux ont, à de nombreuses reprises, voté sur les droits de visite : un enfant de trois ans ne peut être laissé en compagnie de son père 24 heures d’affilée. Cette jurisprudence a été établie car les tribunaux croient que les jeunes enfants ne devraient pas être éloignes de leur mère pendant 24 heures et qu’une telle séparation entrainerait des dommages psychologiques pour l’enfant.

Cette même justice peut cependant ignorer les droits d’un enfant de 3 ans sous le prétexte que sa mère chercherait à agir contre la sécurité nationale du pays.

Il va sans dire que cela me peine de devoir t’expliquer que je ne cherchais en aucune façon à agir contre « leur » sécurité nationale et qu’en tant qu’avocate, mon seul but a toujours été de défendre mes clients dans le cadre de la loi. Je ne souhaite pas non plus te prouver, par exemple, que le contenu des interviews que j’ai données ont été publiés et qu’en conséquence de mes critiques des verdicts, inhérentes à mon rôle d’avocate, on m’a maintenant jugée passible de 11 années d’incarcération.

Premièrement, je voudrais que tu saches, mon Nima bien-aimé, que je ne suis certes pas la première personne à recevoir une condamnation tellement injuste et, bien que cela soit hautement improbable et utopique de ma part, j’espère quand même être la dernière.

Deuxièmement, je suis très contente et cela au moins m’apaise d’être détenue au même endroit que beaucoup de mes clients que je n’ai pas pu défendre efficacement et qui maintenant sont incarcérés en raison d’un processus judiciaire illégal.

Troisièmement, je voudrais que tu saches qu’en tant que femme, je suis fière de la lourde peine à mon encontre, j’ai eu l’honneur de défendre beaucoup de militants des droits civiques et de personnes qui protestaient contre les résultats des élections. En tant qu’avocate, je suis au moins contente d’avoir été condamnée plus lourdement qu’eux.

Les efforts tenaces des femmes ont à la fin prouvé que peu importe qu’on les soutiennent ou pas, on ne peut plus les ignorer.

Je ne sais trop comment te demander cela mon Nima bien-aimé. Comment te demander de prier pour le juge, de prier pour celui qui m’a interrogé ou pour le système judiciaire ? Prie, mon fils, pour que la justice et la paix envahissent leurs cœurs, pour qu’un jour, nous aussi, puissions vivre en paix comme tant d’autres pays du monde.

Mon chéri, dans de tels dossiers, la victoire finale ne dépend pas d’une défense efficace car, en la matière, mes avocats ont fait tout ce qui étaient en leur pouvoir pour me défendre. Ce qui est plutôt en jeu, c’est l’oppression d’humains innocents, piétinés et écrasés sous des idéaux tellement bizarres. Il va sans dire que, dans le jeu de la vie, les innocents finissent toujours par gagner ; c’est pourquoi je te demande, mon cher Nima, avec toute l’innocence de ton enfance, de prier pour la libération, non seulement des prisonniers politiques mais aussi de tous les prisonniers innocents.

Dans l’espoir de jours meilleurs,

Maman Nasrine,
Mars 2011


L’étau se resserre autour du clan Ahmadinejad


Ni le retour très attendu de Mahmoud Ahmadinejad après sa "grève" de 11 jours, ni son interview télévisée du dimanche dernier n’ont pu véritablement apaiser la tension et la dynamique de destruction mutuelle qui anime désormais les protagonistes du pouvoir iranien. La pression sur les proches de Mahmoud Ahmadinejad s'accroît de jour en jour. Après la réaction virulente du Parlement et du Conseil de Gardiens à l’encontre de la décision unilatérale d’Ahmadinejad de fusionner plusieurs ministères et  d’écarter 3 ministres, un conseiller exécutif de la présidence, Hamid Baghaei, vient d’être suspendu de toute fonction administrative pour une durée de 4 ans

Baghaei est un proche du très controversé directeur de cabinet d'Ahmadinejad, Esfandiar Rahim-Mashaei. Il n'aura rempli ses multiples fonctions de conseiller que 40 jours. Les rumeurs vont bon train sur une éventuelle arrestation de Rahim-Mashaei. L'Ayatollah Mesbah-Yazdi, l'un des idéologues les plus importants du camp ultra-conservateur pro-Khamanei, qui était il y a encore quelques mois, l'un des ardents défenseurs d'Ahmadinejad, a eu des mots très durs à l'égard de Rahim-Mashaei, allant jusqu'à qualifier son influence sur Ahmadinejad de "satanique". Mesbah-Yazdi précise que ce complot vise bien les piliers du régime islamique et compte affaiblir la position du guide suprême de la révolution, Ali Khamenei.

Le chef du pouvoir judiciaire, Sadegh Larijani, a de son côté sévèrement mis en garde les protagonistes du courant de "déviation" (nom attribué aux proches d'Ahmadinejad) des poursuites pénales visant à mettre en lumière "l'ampleur de la corruption financière" qui le caractérise. 

Tout laisse à penser que tant que le directeur de cabinet d'Ahmadinejad reste à son poste, la virulence des attaques ne fera que croître. La question est jusqu'à quel point Ahmadinejad pourra tenir tête contre la volonté de Khamenei et si cette guerre ouverte pourrait même aboutir à l'éviction pure et simple de ce président controversé. 

Dans ce chaos institutionnel où tous les coups sont désormais permis entre les différentes factions du pouvoir, le mouvement vert guette les opportunités pour reprendre l'initiative. Le mois de Khordad, le mois anniversaire de l'élection du 12 Juin 2009 qui commence aujourd'hui, risque d'être très chaud pour le régime iranien. 

samedi 21 mai 2011

La torture derrière les murs d'Evine - Saïd Pourheydar


Vendredi 13 mai 2011 – Dans une lettre adressée au guide suprême  Seyyed Ali Khamenei,
Mehdi Mahmoudian décrit la situation insupportable des prisons d’Evine et de Radjaï Shahr et ce que les prisonniers politiques doivent endurer ; c’est pour moi une réalité dont j’ai non seulement été témoin, que j’ai entendue raconter par les prisonniers de mon bloc, mais aussi quelque chose que j’ai expérimenté dans ma chair.

Après les élections présidentielles truquées, j’ai été arrêté par deux fois. La première, j’ai été détenu à l’isolement, puis dans une cellule de 5 personnes au bloc 240 d’Evine. La seconde fois, j’ai été détenu avec 19 autres prisonniers au bloc 350 d’Evine* ; les longues heures de discussion derrière les barreaux m’ont donné la possibilité de parler avec les autres prisonniers des tortures psychologiques et physiques endurées pendant les interrogatoires. Ces discussions sincères sur les détails des arrestations, des interrogatoires, de la torture et des jugements ont été consignés dans quatre carnets de cent pages que j’ai l’intention de publier en temps voulu.

Ce qui suit n’est qu’un bref résumé de ces discussions de l’automne et de l’hiver de l’année dernière avec 19, sur un total de 160 prisonniers politiques, arrêtés après les élections transformées en coup d’état et détenus au bloc 350 ; ce résumé se référe surtout aux tortures physiques et psychologiques qu’ils ont subies. De ces 19 prisonniers politiques avec lesquels j’ai discuté, 3 étaient mes camarades de cellule, mes meilleurs amis ; ils ont été exécutés, deux autres ont purgé leur peine et ont été libérés. 14 sont toujours derrière les barreaux au bloc 350 dont 3 ont été condamnés à mort et attendent leur exécution.

Ce que je décris se limite à mon expérience personnelle et à celle d’autres prisonniers politiques d’Evine, plus spécialement du bloc 2A* et des blocs 209 et 240*.

Revenir sur ce qui s’est passé est à la fois douloureux et amer, mais je crois fermement que nous ne pourrons nous affranchir de ce regard en arrière que lorsque que nous aurons vaincu ; il sera alors temps de regarder en face ce qui adviendra. J’ai donc choisi de délivrer mon esprit de ces souvenirs amers et d’en parler, dans l’espoir que le monde atteigne un certain degré de conscience des supplices que la noble jeunesse iranienne, éprise de liberté, accusée de pensée et de philosophie « Verte », a dû endurer dans les serres de la tyrannie.

La Torture physique

J’ai partagé une cellule de trois personnes du bloc 350* d’Evine avec un prisonnier dont les tortures physiques et psychologiques tourmenteraient toute personne à l’esprit libre. Il avait 25 ans et avait été arrêté sur des accusations injustifiées et non fondées par des agents des gardes révolutionnaires à l’aéroport Imam Khomeiny ; il avait été transféré au bloc 2A* d’Evine et avait supporté des tortures physiques et psychologiques inimaginables pendant ses 6 mois à l’isolement.

Ceux qui l’interrogeaient lui avaient uriné au visage. Il avait été sévèrement battu et avait été fouetté sous la plante des pieds. Il avait reçu à plusieurs reprises des chocs électriques pendant les interrogatoires ; il avait été tellement frappé sur les testicules qu’il en avait perdu conscience. Ceux qui l’interrogeaient utilisaient des pinces sur plusieurs parties de son coup ; trois d’entre eux ont été jusqu’à le traiter comme un ballon, lui donnant des coups de pieds si violents que mes médecins légistes avaient même motivé une forme de torture en confirmant les blessures au crâne et une fracture du nez.

L’une des pires formes de torture endurée par ce très cher ami a été son viol par les membres des gardes révolutionnaires qui l’interrogeaient ; ils ont versé de l’adhésif plastique dans son anus puis l’ont arraché une fois qu’il avait durci.

Bien qu’il soit toujours derrière les barreaux, malgré les tortures brutales et inhumaines, il refuse toujours de faire de faux aveux.

Lors d’une conversation de trois heures sur un banc du bloc 350*, un autre de nos innocents collègue Vert incarcéré a décrit les tortures subies quand il était au bloc 2A*.

On l’a jeté dans un baquet d’eau froide et il a été détenu à l’isolement pendant 10 jours dans une cellule d’un mètre 25 de haut. Pendant des heures, on l’a forcé à rester debout, nu, dehors, en plein hiver. A plusieurs reprises, il a eu la tête poussée dans la lunette des toilettes pendant qu’on tirait la chasse. Il a été sévèrement battu, on l’a complètement dépouillé de ses vêtements et il a été molesté pendant les interrogatoires. Ce ne sont que quelques exemples des tortures qu’il a dû endurer pendant ses deux mois à l’isolement au bloc 2A*. Il a été transféré il y a quelques mois au bloc 350* d’Evine où il attend son procès.

Une autre forme de torture: obliger les prisonniers à s’asseoir sur le sol, nus, pendant qu’on leur frappe le dos avec des matraques et des câbles. Beaucoup de prisonniers sont obligés de rester debout pendant des heures. Deux prisonniers auraient perdu connaissance après un tel traitement. On oblige les prisonniers à prendre des psychotropes, on m’y a obligé. On les pend par l’épaule ou la jambe. Pendant les interrogatoires, on leur coince la tête sur les bras d’un  fauteuil et on les frappe à coups de pied sur les parties sensibles du corps comme les testicules. On oblige les prisonniers à se coucher sur le ventre pendant que deux ou trois personnes leur marchent sur le dos. Il y a eu beaucoup de déchirures de tympan sous les coups fortement portés à la tête, au visage et aux oreilles. On bande souvent les yeux des prisonniers pour les empêcher de réagir quand on les frappe au visage. Ce ne sont que quelques exemples des myriades de méthodes de torture décrites par nombre de prisonniers politiques durant leur détention dans les blocs 209*, 240* et 2A* d’Evine. Beaucoup de ces prisonniers sont actuellement au bloc 350* d’Evine ; soit ils purgent leur peine, soit ils attendent le verdict, ne sachant à quoi s’attendre.

La torture psychologique

La douleur causée par la torture physique peut s’estomper avec le temps mais les effets de la torture psychologique persisteront pendant des années. Avant mon arrestation, le 5 février 2010 et en raison de mes problèmes cardiaques, je prenais quotidiennement un comprimé de Pronol, un béta-bloquant, dosé à 10 mg. Aujourd’hui, le seul bienfait que j’ai reçu de mes jours passés à l’isolement et des brutales tortures psychologiques et physiques que j’ai subies, c’est que je prends deux à trois comprimés de Pronol dosés à 40 mg par jour, plus une myriade d’autres sédatifs que j’ai été contraint d’absorber pendant les mois qui ont suivi ma sortie de prison. L’impact négatif sur mon psychisme a, sans aucun doute, créé de nombreux problèmes dans ma vie quotidienne.

Presque tous les prisonniers politiques ont fait l’expérience d’une forme de torture psychologique ou d’une autre. Même en supposant, ce qui est impossible, qu’un prisonnier n’ait pas été soumis à des pressions psychologiques, le temps passé à l’isolement est en lui-même l’une des pires formes de torture psychologique. Il va sans dire que quiconque n’a pas fait l’expérience, ne serait-ce qu’une heure, d’emprisonnement à l’isolement ne pourra jamais comprendre complètement ce que cela signifie.

Les simulacres d’exécution, une forme horrible de torture psychologique sont très répandus au bloc 2A*. Trois des prisonniers avec lesquels j’ai parlé au bloc 350* m’ont dit en avoir subi et l’un des détenus du bloc 350* m’a décrit comment il avait subi deux simulacres d’exécution.

On rend visite au prisonnier avant l’aube tandis qu’il se trouve à l’isolement et on lui dit qu’il va malheureusement être exécuté. On lui bande alors les yeux, on l’entrave et on le mène dans la cour du bloc 2A*. On place le prisonnier sur un tabouret, on lui place un nœud coulant autour du cou et on lui demande ses dernières volontés avant d’être pendu.

Un ami m’a dit être resté debout, les yeux bandés, le nœud coulant au cou, lors du premier simulacre pendant 30 minutes, pendant que celui qui l’interrogeait lui expliquait qu’ils attendaient l’arrivée du responsable de la prison, d’un observateur judiciaire et du médecin légiste avant l’exécution du verdict. Au bout d’une demi-heure, on l’informa que, le directeur de la prison n’ayant pu venir, l’exécution devant avoir lieu avant l’aube, l’exécution était retardée de quelques jours.

Bien sûr, personne n’appréhende totalement l’état psychologique d’un prisonnier politique force d’attendre debout sur un tabouret, les yeux bandés; personne ne peut imaginer le supplice suscité par une attente de quatre jours avant d’être soumis à cette même mise en scène.

Quatre jours plus tard, on le réveille de nouveau et on l’emmène de nouveau dans la cour du bloc 2A*. De nouveau, le nœud coulant entoure son cou et il se tient sur le tabouret de la mort. Le verdict de son exécution lui est lu. On lui demande ses dernières volontés. On retire le tabouret de sous ses pieds, mais la corde est trop longue et il s’écroule sur le sol ; alors, les deux personnes qui l’interrogeaient et qui l’encadrent actuellement éclatent de rire et déclarent : « Tu as eu de la chance cette fois-ci ; la corde s’est rompue. Tu peux retourner dans ta cellule maintenant jusqu’à ce que nous décidions exactement quant tu seras pendu. »

Je suis sûr que vous vous souvenez des ridicules procès mis en scène en 2010, après les élections présidentielles et les faux aveux de plusieurs personnalités célèbres ou moins célèbres qui s’en sont suivis ; ils avaient été forcés de témoigner contre eux-mêmes et le Mouvement Vert. La façon dont ces procès ont été menés est une longue histoire dont j’ai l’intention de mettre les détails par écrit : comment on a préparé les prisonniers pendant des jours à répéter ce qu’ils diraient au tribunal ou bien comment on les a forcés à se laisser pousser la moustache avant le procès.

Je suis sûr que vous voudriez savoir pourquoi certaines personnalités ont accepté de témoigner contre eux-mêmes et le Mouvement Vert. L’une de ces personnalités de premier plan a résisté aux exigences de ceux qui l’interrogeaient pendant 2 mois ; comment a-t-il finalement cédé ?

Un jour, ils ont rendu visite à l’épouse et à la fille de cette personnalité et les ont emmenées à la prison sous prétexte de rendre visite à leur époux et père. Ont leur a demandé de rester dans une pièce pour attendre l’arrivée du prisonnier.

La pièce possédait une vitre sans tain. Le prisonnier a été amené de l’autre côté de la vitre. On lui a dit : « Comme tu le vois, on a emmené ta femme et ta fille ici. A toi de voir si tu veux parler au tribunal ou pas. » Le prisonnier a continué de refuser d’avouer. Celui qui l’interrogeait a alors appelé son collègue au téléphone : « Hadji, apparemment il pense toujours qu’on rigole. » Il a raccroché le téléphone. La porte de la pièce dans laquelle se trouvaient son épouse et sa fille était ouverte. Deux prisonniers dangereux et costauds, condamnés pour meurtre, sont alors entrés dans la pièce. Celui qui l’interrogeait s’est alors placé face à lui : « Tu vois,  mon frère, ces deux hommes aux côtés de ta femme et de ta fille ; ils ont été condamnés à mort  pour meurtre. Ca fait un petit bout de temps qu’ils sont en prison et ils n’ont eu aucun contact avec des femmes pendant ce temps. Je te laisse une minute pour réfléchir à ta réponse, tu veux ou pas aller au tribunal et t’asseoir face aux cameras. Si ta réponse est non, je les dirai de commencer là, juste devant toi. » Et voilà comment cette personnalité de premier plan a été obligée de témoigner contre lui-même et d’autres.

Ce qui précède n’est que trois exemples de torture psychologique subie par les prisonniers politiques du bloc 2A et des blocs 209* et 240*. Et encore, il ne s’agit que de ce qui est arrivé à 19 des 160 prisonniers politiques incarcérés au bloc 350 d’Evine avec lesquels j’ai eu le privilège de discuter pendant des heures.

Il va sans dire que pour comprendre la profondeur de la tragédie et exposer clairement les grossières violations des droits humains, il nous faut prendre en compte la totalité de ce que des centaines d’autres amis ont subi avant et après mon incarcération au bloc 350* d’Evine, sans oublier les détenus à l’isolement aux blocs 209*, 240* et 2A d’Evine, à la prison de Radjaï Shahr ou dans d’autres prisons iraniennes.

En tant que journaliste récemment libéré de prison, j’atteste, qu’en dépit de toutes ces tortures, persécutions, en dépit de l’isolement de la société et de la nostalgie, les prisonniers du Mouvement Vert Démocratique, dans les serres d’un dictateur, continuent de résister avec dignité à l’intérieur du bloc 350* de la prison d’Evine. J’attends la libération de tous ces combattants de la liberté et je suis sûr que le jour où nous serons tous libérés arrivera plus tôt que nous le pensons.


Saïd Pourheydar
Journaliste & Membre de la Maison des Droits Humains d’Iran (RAHANA)

* Note du traducteur : La prison d’Evine compte plusieurs blocs ou unités :
Le bloc 2A est placé sous la supervision des gardes révolutionnaires
Les blocs 209 et 240 sont placés sous la supervision du ministère du renseignement
Le bloc 350 est le bloc commun où sont détenus les prisonniers politiques

Source; RAHANA - http://www.rahana.org/archives/39789