mardi 30 mars 2010

Entretien avec Ahmad Salamatian - Mouvement Vert en Iran - Partie I

Monsieur Ahmad Salamatian, né en 1941, fut secrétaire d'Etat iranien aux Affaires Étrangères en 1979 dans le premier gouvernement post-révolutionnaire dirigé par Mehdi Bazargan, puis député d'Ispahan jusqu'en 1981. Avant la révolution islamique, il fut un militant très actif du Front National d’Iran (Jebheye Melli), le parti politique proche de l’ancien premier ministre Mohammad Mossadegh. Monsieur Salamatian réside en France depuis 1981 d’où il observe la vie politique iranienne.

Dans le cadre de cet entretien, Monsieur Salamatian décrit les spécificités du mouvement vert, ses causes et ses principales différences avec les mouvements révolutionnaires qui ont jalonné depuis 1905 la marche du peuple iranien vers la démocratie.

Une traduction en français est proposée ci-dessous.

I. Pour la première fois, ce sont les élites qui suivent le peuple




I. Pour la première fois, ce sont les élites qui suivent le peuple

Ce que nous appelons désormais communément le Mouvement Vert, ce phénomène politique issu de l’élection présidentielle du 12 Juin 2009, est avant tout une révélation de changements extrêmement profonds au sein de la société iranienne. C’est la toute première fois depuis la Révolution Constitutionnelle (1905-11), que nous observons un phénomène politique caractérisé par une société dont la volonté de changement est en avance par rapport aux changements politiques voulus par les élites.

Pendant la période de la Révolution Constitutionnelle, ceux qui réclamaient un régime constitutionnel ("Mashrouteh khahan") étaient issus des élites autant que les protagonistes de l’autre camp, celui des partisans de la monarchie despotique des Qadjar. Ce sont des élites tribales, religieuses, aristocratiques et celles du bazar qui étaient des véritables acteurs quasi exclusifs de la vie politique iranienne. Leurs bases sociales  étaient peu préparées aux idées démocratiques et en retard par rapport aux aspirations des élites. Le même décalage par rapport aux élites pouvait être observé dans le camp adverse. Ainsi la majeure partie des combats politiques se déroulait entre les élites qui entraînaient derrière elles le corps de la société iranienne. Ce constat restait aussi valable pendant la mise en place de la monarchie des Pahlavis et les luttes populaires contre cette monarchie, par exemple le mouvement de nationalisation de l’industrie pétrolière (1950-53) : les élites avaient des utopies, des rêves, des motivations et des idéaux politiques dont le corps de la société ne percevaient pas encore totalement ni le sens ni la nécessité. Ce constat restait également vrai pendant la révolution de 1979 malgré la spectaculaire irruption populaire sur la scène politique. Les élites de cette époque, aussi bien celles qui ont pris les reines du pouvoir au lendemain de la révolution et  celles qui ont été vaincues malgré leur participation active au renversement du régime Pahlavi, souffraient de même décalages respectifs avec leurs bases sociales. C’étaient encore les  élites  qui entraînaient les populations derrière elles. Même l’Ayatollah Khomeiny, a devancé la partie traditionnelle et religieuse de la société en politisant l’islam chiite. Cet islam n’avait jamais été autant politisé par le passé. Articuler un système de pouvoir autour de cet islam désormais politisé  était aussi une innovation. Il s’agissait bien de la première fois qu’un tel gouvernement religieux était fondé en Iran depuis l’avènement de l’Islam.

Mais les événements actuels en Iran, dont nous découvrons progressivement l’ampleur et la portée, sont les fruits d’un processus de changement extrêmement profond au sein de la société. Pour la première fois, ce sont les élites qui suivent la volonté du corps de la société! Il s’agit d’une différence fondamentale par rapport aux mouvements ("Jonbesh") précédents. Ceux-là étaient dirigés par des leaders charismatiques qui transcendaient les aspirations populaires et  qui entraînaient derrière eux les masses. Il existait un lien de "suivi (guide) " à "suiveur" ("Moridi va Moradi") entre les élites et le peuple. Mais plus maintenant. Nous voyons à présent une société dans toute sa diversité, son pluralisme et sa complexité, qui exprime ses volontés multiples. Ses revendications émanent par essence des couches populaires très vastes. Elles ne sont plus issues d’utopies, de convictions abstraites ou de trouvailles intellectuelles de leaders politiques puisant leurs aspirations dans tels ou tels modèles de pensée. Les revendications populaires sont devenues bien plus terre-à-terre et concrètes. Elles émanent directement des situations de vie quotidienne. La politique en Iran peut désormais s’appuyer sur des réalités sociales. Ce point d’appui ne trouve plus son origine dans un serment ou une subordination politique (entre un dirigeant et les masses populaires). L’expression du fait politique, de la formulation des slogans et des objectifs aux premiers actes, s’inscrit désormais dans le cadre d’un changement extrêmement profond et puissant de la société.

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