mercredi 3 mars 2010

Lettre de Zia Nabavi au Chef du pouvoir judiciaire

Lettre de Zia Nabavi au responsable de la justice Sadeq Laridjani

Son Excellence l’Ayatollah Laridjani, responsable de la Justice

Je m’appelle Ziaoldin Nabavi. Je suis né en 1983 à Qaemshahr [province du Mazandaran]. J’ai été arrêté juste après les élections, dans la nuit du 14 juin au domicile d’un ami. Après avoir passé 100 jours au bloc 209 de la prison d’Evine tenu par le ministère du renseignement, j’ai été transféré à la détention générale. Actuellement, je suis au bloc 350.

J’ai un diplôme d’ingénierie chimique de l’université de technologie de Babol et on m’a empêché de terminer ma maîtrise de sociologie (je suis ce qu’on appelle un étudiant « étoilé ») [système développé par le ministère iranien de l’éducation supérieure qui pénalise les étudiants ayant des problèmes de discipline avec des étoiles. Après un certain nombre d’étoiles, on interdit aux étudiants de poursuivre leurs études. Ce système est essentiellement utilisé contre les militants étudiants]

Résumé des accusations et verdict y afférant

1. Conspiration pour agir contre la sécurité nationale (trois ans de prison)

2. Propagande contre le régime (un an de prison)

3. Troubles à l’ordre public (un an de prison)

4. Troubles à la tranquillité d’esprit du public (74 coups de fouet)

5. Liens et coopération avec l’organisation des Moudjahiddines Khalq (MKO) (10 ans de prison à Izeh, Khouzestan)

Voici les trois principales raisons de cette lettre:

Premièrement,  faire appel de ce verdict incroyablement sévère et protester contre des accusations tellement hors de propos.

Deuxièmement, défendre la réputation des étudiants « étoilés » leur rendre leur réputation et l’honneur à leur nom, eux qui n’ont fait que défendre leurs droits. Ils n’ont jamais fait partie de groupe politique pour ou contre le gouvernement.

Troisièmement, faire part de mon inquiétude à propos de ma situation (depuis l’arrestation, en passant par les interrogatoires et le procès). Il est de ma responsabilité de lancer un débat qui puisse conduire à un changement dans les procédures. Il est fort probable que les méthodes employées soient devenues la norme et qu’elles aient été mises en œuvre à l’encontre d’autres détenus. La justice affecte directement le sort du peuple. Toute faute est impardonnable.

Puisque la raison principale d mon arrestation la chasse aux étudiants étoilés par les autorités, j’aimerais donner une explication.

La tendance à « étoiler » les étudiants pour les priver de leurs études, a commencé en 2006, autant que ma génération puisse s’en souvenir. La même année, plusieurs étudiants (militants ou membres des syndicats étudiants islamiques de l’université qui voulaient poursuivre leurs études) en ont été empêché alors qu’ils répondaient à tous les critères d’admission de l’université.

Les militants étudiants ont fait part de leurs doléances au bureau d’évaluation (responsable de superviser tous les concours de l’enseignement supérieur). Là, ils ont découvert que, bien qu’ils auraient du être admis, ils avaient été catalogués comme « incapables » de poursuivre leurs études. Je suis devenu un étudiant étoilé en 2008.

Depuis 2006, les étudiants privés de leurs droits à poursuivre leurs études ont tout tenté pour retrouver leurs droits. Ils ont discuté avec les fonctionnaires du ministère de l’enseignement supérieur, les membres de la délégation chargée des infractions dans ce ministère, les commissions parlementaires responsables de l’éducation, des organisations culturelles, la sécurité nationale, les membres du conseil culturel suprême, le conseil de discernement et de hautes personnalités comme Messieurs Hashémi, Khatami et Karroubi.

Les étudiants bannis ont même porté leur demande de justice jusqu’au tribunal administratif de médiation (Le tribunal qui décide sur les dossiers opposant les citoyens et les organes gouvernementaux). Les déclarations des étudiants n’ont pas seulement été considérées comme sans intérêt par les fonctionnaires, mais l’existence des étudiants étoilés a été complètement niée.

Après trois ans d’essais infructueux pour retrouver leurs droits, les étudiants ont été obligés de monter une organisation appelée « Le conseil de défense du droit à l’éducation ». Ils ont collectivement défendu leur dossier à l’époque des élections présidentielles. Ils espéraient que l’atmosphère de la campagne électorale rendrait leurs voix plus facilement audibles en raison d’un public plus nombreux. Les étudiants ont décidé d’écrire aux autorités, de contacter les candidats aux élections présidentielles et de rassembler des informations sur les étudiants « étoilés ».

Au lendemain des élections et des évènements qui les ont suivies, les étudiants n’ont pas atteint leur but. Au contraire, huit des membres les plus actifs ont été arrêtés, emprisonnés et jugés pour des accusations fausses ou inadéquates comme Moharebeh [guerre contre Dieu, une accusation protée contre les membres de groupes armés d’opposition] relations avec des groupes armés d’opposition et conspiration pour renverser le gouvernement.

Comme vous le savez, l’éducation et l’acquisition de savoir ont toujours été tenues en haute estime par nos traditions religieuses. D’un côté, le droit à l’éducation est souligné dans divers articles de la constitution comme dans la déclaration universelle des droits humains de l’organisation des nations unies. Ce droit est considéré comme fondamental et indéniable. La privation de ce droit à l’éducation ne peut donc pas être légalement et raisonnablement considérée comme une sanction.

D’un autre côté, si nous acceptons la privation du droit à l’éducation comme une sanction légitime, il faudrait que les autorités expliquent le processus légal par lequel les étudiants ont été jugés coupables et interdits de poursuivre leurs études. De plus, il est clair que les mesures de privation ont été prises en réponse aux activités des étudiants pendant leurs études supérieures. Par exemple, dans le rapport du ministère du renseignement à mon encontre, il est dit : « L’individu qui avait un rôle opérationnel dans les manifestations étudiants et la grève de l’université de Babol, qui, par ailleurs, n’était pas une manifestation politique et ne concernait que la mauvaise qualité avec laquelle on s’occupait des étudiants, est suspendu d’études pour l’année 2006 ».

Même si nous n’acceptons pas l’argument selon lequel un procès est nécessaire avant qu’un étudiant ne perde ses droits à l’éducation, la question reste ; pourquoi des étudiant qui ont déjà été punis par le conseil de discipline de l’université (j’ai eu deux semestres de suspension) et encore puni en plus par la révocation de ses droits à l’éducation.

Le plus triste et le plus douloureux, c’est la négation de l’existence des étudiants « étoilés » par le ministère de l’éducation supérieure, le bureau des évaluations et même le président dans les médias. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Cette tragédie se conclut par l’arrestation et le procès d’étudiants accusés de Moharebeh. Une erreur de la part des autorités réparée par une erreur plus grande encore ; un problème qui aurait pu être évité par un peu plus de mansuétude de la part des autorités s’est transformé en catastrophe manifestée par un verdict cruel de 15 ans d’emprisonnement. C’est la première fois qu’un militant étudiant est aussi lourdement condamné que je le suis.

Le texte des attendus et du verdict prononcés par le juge laisse apparaître des points dignes d’intérêt. Il semble que ces points aient servi de base pour établir le verdict. Nous n’avons jamais reçu le texte écrit, je dois donc me fier à ma mémoire pour énumérer autant de points que ma mémoire me le permet :

  • L’accusé n’a pas avoué ce dont il était accusé
  • Des membres de la famille de l’accusé ont été membres du MKO et résident actuellement au camp d’Ashraf (base MKO en Irak)
  • L’accusé a fondé une association avec d’autres étudiants interdits d’études et s’est engagé dans des activités politiques et des réunions.
  • L’accusé a été interviewé par des médias étrangers à propos de sa privation d’éducation.
  • L’accusé a préparé des rapports sur la condition de quelques uns des étudiants privés d’éducation et les a envoyés au site d’information d’Amir Kabir (appartenant aux étudiants de l’université polytechnique de Téhéran)
  • L’année dernière, l’agence de presse Iran News Agency a contacté l’accusé qui a considéré l’appel comme suspect et n’a pas répondu.
  • En 2009, un individu du nom d’Ashkan de retour du camp d’Ashraf, a contacté l’accusé et lui a demandé de le mettre en relation avec le MKO. L’accusé a refusé d’accéder à sa requête.
  • En juin 2009, quelqu’un se présentant comme journaliste indépendant a contacté l’accusé mais l’accusé a considéré ce contact comme suspect et n’a pas répondu.
  • L’accusé était présent le 25 juin de 16h30 à 17h30 entre la place Enqelab et le ministère du travail.

Voici mes explications sur ces points:

Je n’ai jamais rien dit d’autre que la vérité durant les interrogatoires malgré la lourde pression psychologique et parfois physiques (station debout prolongée, coups de pieds, coups derrière la tête, insultes, humiliations, etc…), je n’ai pas avoué des crimes que je n’avais pas commis. Mes activités ont toujours eu lieu et au vu et au su de tout le monde.

Chaque personne est indiscutablement responsable de ses propres actions. Donc, condamner quelqu’un pour les actions ou sur des rapports de membres de sa famille est illégal et injuste. Si une telle condamnation était justifiée, personne ne serait innocent sur terre.

Je n’ai jamais nié mon appartenance au conseil de défense des droits à l’éducation et, comme je l’ai dit durant les interrogatoires, j’étais l’une des personnes ayant le plus de responsabilité du groupe. L’important c’est que les actions de ce groupe ne concernaient que le retour dans leur droit aux études des étudiants étoilés. Il n’y a eu aucune activité illégale, en particulier, aucune qui ne puisse être considérée comme hostile envers les institutions.

Comme les autorités niaient l’existence des étudiants étoilés et que les médias d’état, en raison des contraintes qui leur étaient imposées, ne parlaient pas de la situation des étudiants bannis, alors que s’ils l’avaient fait, cela aurait pu aider à démontrer que l’injustice que subissait les étudiants était bien réelle, les étudiants n’avaient pas d’autre choix que de parler aux médias étrangers. Le contenu de ces interviews ne peut pas être considéré comme des exemples de mensonges, de propagande contre le régime ou de trouble à la tranquillité d’esprit du public.

En raison de la sensibilité de ma famille, j’ai toujours fait attention à ne pas établir de contact avec le MKO, ne serait-ce qu’inconsciemment. Comme noté dans le rapport du ministère du renseignement, je n’ai jamais répondu aux contacts suspects, même quand ils venaient d’agence de presse. Il est incroyable que mon refus d’établir le contact soit utilisé contre moi pour justifier 10 ans de prison sous l’accusation de collaboration avec le MKO.

J’étais présent au rassemblement du 25 juin entre 16h30 et 17h30, entre la place Enqelab et le ministère du travail. J’ai décidé d’y participer seul, sans coordination avec quelque groupe que ce soit. Il n’y a pas eu de violence et une accusation de conspiration à agir contre la sécurité nationale et de trouble à l’ordre public ne tient donc pas.

Depuis mon arrestation, il y a sept mois, je n’ai vu ni mandat d’arrêt ni extension de ce mandat, s’il y en a jamais eu. Le seul document écrit que j’ai vu m’a été présenté au 70ème jour de ma détention ; il était intitulé Demande de Réduction [de caution]. Le champ pour le montant était en blanc. Je l’ai rapidement signé sur la demande insistante de la garde du bloc 209. Ce document est dans mon dossier et, dans le champ en blanc, la somme de 500.000 USD est maintenant inscrite.

Pendant les interrogatoires, on me pressait de reconnaître que le conseil de défense des droits à l’éducation était une organisation émanant du MKO et que j’étais leur agent. J’ai néanmoins clairement déclaré pendant l’interrogatoire et au cours du procès que je n’avais ni intérêt ni croyance en commun avec le MKO et que je repoussais toute idéologie politique basée sur la violence et l’obéissance aveugle. J’ai déclaré à de multiples reprises que s’il y avait la moindre preuve de mes liens avec ce groupe (appels téléphoniques, emails, etc…) ou que même si l’un de mes amis ou co-accusés déclarait que j’étais un sympathisant du MKO, je ne verrais aucune objection à être condamné à mort.

De plus, quiconque me connaît sait que j’ai une personnalité critique et que je ne peux pas suivre aveuglément un groupe ou une organisation. Ce trait de personnalité apparaît dans mes écrits ainsi que dans ma conduite et mes activités pendant mes études. Ce point ne peut pas être ignoré du ministère du renseignement et c’est pourquoi je m’interroge sur la base de cette accusation

Dans tous les cas, au nom de la justice, de la dignité des étudiants bannis et de la soif de justice d’une personne opprimée, je vous implore de réexaminer mon dossier pour y voir les injustices dont j’ai souffert. J’accueille favorablement, par avance, toute tentative d’éclaircissement de mon dossier, même en publiant dans les médias les minutes des interrogatoires et le contenu de mon dossier. On pourrait ainsi prouver mon affirmation du manque de toute preuve en relation avec les accusations.

Le jugement est une forme compliquée d’acquisition du savoir, la conduite du système judiciaire émane des présupposés basés sur la théorie et le savoir commun dans la société ; en tant qu’individu qui s’intéresse aux discussions théoriques, je pense nécessaire d’attirer l’attention sur un point.

L’un de nos principaux problèmes est la compréhension du phénomène social qu’est le réductionnisme : l’analyse de problèmes complexes en les simplifiant et en se concentrant sur un seul facteur par problème. Le motif derrière l’approche réductionniste, en plus de découvrir la vérité, est de se libérer du stress causé par la rencontre avec un nouveau phénomène, malhonnêtement. Malheureusement, j’ai été témoin de ce mode de pensée pendant mes interrogatoires.

Les experts [expert est le terme utilisé pour désigner une personne en charge d’un dossier et/ou des interrogatoires] censés disséquer les problèmes pour en trouver les racines, mis face au problème des « étudiants privés d’études », ont choisi de simplifier la solution en niant complètement l’existence de ces étudiants. Après que le plan de dénégation ait échoué, les experts ont lié les étudiants aux groupes hostiles et d’opposition.

Bien que des milliers de raisons puissent être avancées pour démontrer que prêter de tels agissements aux étudiants est horriblement illogique et injustifié, le seul avantage en est, pour les fonctionnaires du renseignement et de la sécurité, le calme de l’esprit émanant de la compréhension du problème qu’ils se sont forgée, même si elle est incorrecte ; c’est ce qui les a poussés à augmenter les sanctions pour avoir recherché le droit à l’éducation.

Croyez-moi, pendant les interrogatoires, je ne désirais pas être relâché mais trouver l’occasion de discuter avec l’expert du dossier. Je voulais lui expliquer le début du problème des étudiants étoilés, tout ce qu’ils ont subi pendant ces années et beaucoup d’autres problèmes. Ca n’a jamais été possible à cause de l’environnement des interrogatoires et des pressions perpétuelles. Chaque conversation était limitée à l’aveu d’un crime que je n’avais ni commis, ni même imaginé.

En tout cas, on n’a jamais répondu à cette demande ; pendant tout le temps où nous avons été privé du droit de poursuivre nos études, aucun fonctionnaire du ministère de l’éducation supérieure, de la justice ou du ministère du renseignement ne nous a rendu visite pour que nous puissions lui expliquer nos doléances ou lui exprimer nos exigences. Nous espérons qu’après toutes nos angoisses et nos détresses, cette lettre devienne un prétexte pour organiser des discussions.

Honorable responsable de la justice,

Mettez-vous s’il vous plait à la place d’une personne qui, en dépit de ses qualifications et ses aptitudes aux études est privé de la poursuite de ses études et de sa progression académique. Le plus terrible c’est que ces étudiants, en raison de leurs efforts pour retrouver leurs droits, ont été sévèrement condamnés, par exemple à des peines de prison. Vous voyez que la répression cachée dans cette injustice est réellement douloureuse.

De nouveau, je supplie que mon dossier et ceux des autres étudiants étoilés soient revus dans une perspective complètement légale, loin des subtilités politiques. Justice devrait être rendue en appel et l’accusation de liens avec le MKO au moins, devrait être éliminée pour que les autres étudiants étoilés et moi-même puissions retrouver notre dignité et laver l’honneur de nos noms.

De plus, puisque beaucoup d’étudiants ont porté l’affaire devant le tribunal administratif du gouvernement, je vous demanderais, dans la lignée des autres changements positifs du système judiciaire, que la manière de traiter ces dossiers soit également changée. De tels changements permettront aux étudiants de retourner à l’université et de continuer leurs études. La liberté est douce, mais la liberté sans possibilité d’étudier et d’acquérir des savoirs est vide de toute joie.

Je vous remercie de toutes vos attentions.

Seyed Ziaoldin Nabavi

Bloc 350 de la prison d’Evine Prison

Traduction: Siavosh J.
Persian2English.com

http://persian2english.com/?p=7652

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