V. Changement des comportements avant tout – maturité politique du mouvement
J’observe la société iranienne depuis plusieurs décennies et je dois avouer que j’ai toujours été surpris et fasciné par le cours des événements. Je suis persuadé que le phénomène que nous vivons actuellement ne peut être correctement interprété avec des approches d’analyse traditionnelles. Cela fait de nombreuses années que je ressentais que le corps de la société évoluait de façon beaucoup plus rapide que la mentalité de ses élites politiques.
Déjà lors de la 9ème élection présidentielle, j’ai fortement soutenu la participation au vote. J’avais même appelé avec d’autres à participer au scrutin municipal. Nous disions à l’époque que la non participation au scrutin municipal signifiait ignorer l’importance tactique du vote. Dans le monde d’aujourd’hui, le vote est à la fois un outil stratégique et tactique. En Iran, voter revenait à simuler, pour un laps de temps très court, en l’occurrence un seul jour, la souveraineté du peuple. Même si cela n’était bien entendu pas vrai. Les élites estimaient que ce vote ne servirait pas à grand chose et qu’il donnerait même une certaine légitimité au pouvoir au niveau international. Mais, d’abord par principe, depuis 1933 et l’avènement catastrophique du nazisme en Allemagne par un vote démocratique, le vote à lui seul ne confère plus de légitimité à un pouvoir politique. En plus, si le vote devait donner une légitimité au niveau international, aujourd’hui l’Arabie Saoudite ne serait pas l’un des alliés les plus importants des pays occidentaux. Si le vote devait donner une légitimité, la France n’aurait pas invité en grandes pompes pendant 3 années consécutives, l’Emir du Qatar aux cérémonies du 14 Juillet, ni MM. Kadhafi et Asad! Malheureusement, la réalité des relations internationales est organisée selon d’autres critères que la seule légitimité démocratique.
Aujourd’hui le vote est un outil de changement mais c’est aussi pour le peuple un moyen de transmettre des messages. En Iran, où le pouvoir est quasi exclusivement concentré entre les mains du guide suprême de la révolution et où les prérogatives du président sont extrêmement restreintes, le vote est peut-être dépourvu d’enjeu stratégique susceptible de modifier la composition du pouvoir mais peut au moins obliger le régime à réagir. Sans le vote du 12 Juin 2009, tous les acquis de ces derniers mois n’auraient pas été possibles. Malgré le fait que j’étais totalement en faveur de la participation au vote l’an dernier, je n’imaginais absolument pas l’ampleur du taux de participation (estimé entre 70 et 80%). De même, j’étais à nouveau sidéré par la participation massive de la population à la manifestation du 15 Juin 2009 (qui, même selon les gardiens de la révolution, ne comptait pas moins de 2,5 millions de participants!). Depuis, les événements se sont enchaînés et j’ai été systématiquement époustouflé par la ferveur populaire. Concernant la journée du 11 février (22 Bahman), j’étais parvenu à cette analyse qu’un combat politique ne pouvait se résumer seulement à un affrontement de rue pour jauger les rapports de force. Un mouvement qui, comme nous l’avons vu, dispose d’autres leviers et espaces d’expression au sein de la société. Malgré cela, j’ai été à nouveau surpris par le peuple. Nous ne sommes pas en présence d’un mouvement qui se rétracterait à cause de la simple répression d’une manifestation. Ce mouvement a atteint un très haut niveau de maturité politique. Il ne commet pas l’erreur de 1979 qui consistait à vouloir changer les fondamentaux de la société par le changement de ses gouvernants! Pour la première fois en Iran, nous sommes en présence d’un mouvement qui a comme objectif premier le changement des comportements. Ce mouvement, n’est pas de type à renverser le régime. Même le pouvoir actuel l’a compris. Il parle de "guerre souple" pour qualifier la lutte du mouvement vert. Le peuple s’intéresse plus à modifier les contenus que les contenants. Il se focalise davantage sur les comportements que sur les personnes qui incarnent le pouvoir. La survie politique des personnes dirigeantes et des systèmes de pouvoir est désormais conditionnée par leur aptitude à adapter leurs comportements. C’est pour cela que je pense qu’aujourd’hui, le plus grand risque menaçant les piliers du régime actuel n’est pas le mouvement vert. C’est la rigidité et l’absence totale d’une quelconque capacité d’adaptation et de changement qui sont en réalité les plus grands facteurs de menace pour le régime au pouvoir en Iran.
Le corps de la société iranienne qui a subi des bouleversements majeurs, est comme une base fluide en mouvement alors que la structure qui est censée de la contenir n’est plus capable de s’adapter. Toute la question est donc de savoir si le contenant peut s’adapter au contenu. Si le contenant peut s’adapter, il peut perdurer. Mais s’il échoue, il est certain que le contenu finira tôt ou tard par le déborder ou le rompre, telle l’eau accumulée derrière un barrage.
Une chose est désormais sure. Dans l’Iran d’aujourd’hui, où le fils ne se soumet plus forcement à l’autorité paternelle, où la femme n’est plus subordonnée à son époux, la société ne peut plus se reconnaître dans une seule et unique personne, quelques soient ses qualités. La période où le peuple iranien voulait uniquement renverser son souverain est révolue. Aujourd’hui, si un chef religieux devait jouir d’un certain respect, ce serait dû au fait qu’il ne se considérerait pas comme le représentant de toute la société (nous pouvons citer l’énorme popularité de l’Ayatollah Montazeri qui avait su parler le langage du peuple).
Ce mouvement vert, je ne le considère pas comme séparé de ce qui a été initié avec l’élection de Khatami à la présidence. Il n’est pas le fruit de l’intelligence extraordinaire de tel ou tel dirigeant. Il s’agit plutôt d’un processus, d’un mouvement social qui le distingue fondamentalement les mouvements révolutionnaires de l’Histoire de l’Iran. L’activité politique en Iran n’est plus exclusivement réservée aux révolutionnaires professionnels. Elle se transforme progressivement à un combat quotidien. La différence fondamentale que je perçois entre les militants politiques d’aujourd’hui et ceux d’il y a 30 ans est la volonté pour les militants actuels de mener une vie normale, d’exercer une profession et parallèlement, de formuler des revendications politiques. Le militant politique actuel a des souhaits pratiques. Il veut écouter la musique qu’il aime. Il veut s’habiller comme il l’entend. C’est une différence considérable par rapport à 1979. En 1979, de très nombreuses familles qui n’avaient pas forcement des comportements religieux, avaient opté pour des comportements religieux par nécessité idéologique. J’entends par là, une religion qui était devenue une idéologie. Aujourd’hui, nous ne sommes plus du tout dans un tel contexte. Aujourd’hui, les religieux, les non religieux et les anti-religieux se sont entendus sur des outils communs.
Dans les sociétés démocratiques, ce qui est vraiment important est le rapport des forces sociales capables de transformer la démocratie en un sujet normal et quotidien, qui n’a plus rien d’extraordinaire dans l’imaginaire des gens. On n’attend pas de la démocratie d’être un système providentiel ou destructeur. Le régime démocratique moderne est l’acceptation d’un certain relativisme en politique. Je considère que tant que la démocratie n’est pas transformée en une chose compréhensible, palpable et à la portée des gens "normaux", elle ne pourrait pas être atteinte. Elle doit être transformée en une expérience, en un exercice normal dans le cadre de la vie quotidienne des gens.
Malgré les postures extrêmes du régime actuel en Iran, je suis persuadé que l’ère de la toute puissance des pouvoirs absolus et des idéologies providentielles est révolue en Iran. Nous nous dirigeons vers une société où le doute, la critique et le relativisme deviennent des piliers fondamentaux. Une société qui ne s’attend plus à choisir entre le diable et l’ange. Une société qui devient tout simplement "normale". Dans une telle société, même si l’air, la terre et l’eau ne conviennent toujours pas à ce jeune arbre qu’est la démocratie, petit à petit, la compréhension mutuelle, la conversation ouverte, deviennent des conditions nécessaires de survie.
Fin
Déjà lors de la 9ème élection présidentielle, j’ai fortement soutenu la participation au vote. J’avais même appelé avec d’autres à participer au scrutin municipal. Nous disions à l’époque que la non participation au scrutin municipal signifiait ignorer l’importance tactique du vote. Dans le monde d’aujourd’hui, le vote est à la fois un outil stratégique et tactique. En Iran, voter revenait à simuler, pour un laps de temps très court, en l’occurrence un seul jour, la souveraineté du peuple. Même si cela n’était bien entendu pas vrai. Les élites estimaient que ce vote ne servirait pas à grand chose et qu’il donnerait même une certaine légitimité au pouvoir au niveau international. Mais, d’abord par principe, depuis 1933 et l’avènement catastrophique du nazisme en Allemagne par un vote démocratique, le vote à lui seul ne confère plus de légitimité à un pouvoir politique. En plus, si le vote devait donner une légitimité au niveau international, aujourd’hui l’Arabie Saoudite ne serait pas l’un des alliés les plus importants des pays occidentaux. Si le vote devait donner une légitimité, la France n’aurait pas invité en grandes pompes pendant 3 années consécutives, l’Emir du Qatar aux cérémonies du 14 Juillet, ni MM. Kadhafi et Asad! Malheureusement, la réalité des relations internationales est organisée selon d’autres critères que la seule légitimité démocratique.
Aujourd’hui le vote est un outil de changement mais c’est aussi pour le peuple un moyen de transmettre des messages. En Iran, où le pouvoir est quasi exclusivement concentré entre les mains du guide suprême de la révolution et où les prérogatives du président sont extrêmement restreintes, le vote est peut-être dépourvu d’enjeu stratégique susceptible de modifier la composition du pouvoir mais peut au moins obliger le régime à réagir. Sans le vote du 12 Juin 2009, tous les acquis de ces derniers mois n’auraient pas été possibles. Malgré le fait que j’étais totalement en faveur de la participation au vote l’an dernier, je n’imaginais absolument pas l’ampleur du taux de participation (estimé entre 70 et 80%). De même, j’étais à nouveau sidéré par la participation massive de la population à la manifestation du 15 Juin 2009 (qui, même selon les gardiens de la révolution, ne comptait pas moins de 2,5 millions de participants!). Depuis, les événements se sont enchaînés et j’ai été systématiquement époustouflé par la ferveur populaire. Concernant la journée du 11 février (22 Bahman), j’étais parvenu à cette analyse qu’un combat politique ne pouvait se résumer seulement à un affrontement de rue pour jauger les rapports de force. Un mouvement qui, comme nous l’avons vu, dispose d’autres leviers et espaces d’expression au sein de la société. Malgré cela, j’ai été à nouveau surpris par le peuple. Nous ne sommes pas en présence d’un mouvement qui se rétracterait à cause de la simple répression d’une manifestation. Ce mouvement a atteint un très haut niveau de maturité politique. Il ne commet pas l’erreur de 1979 qui consistait à vouloir changer les fondamentaux de la société par le changement de ses gouvernants! Pour la première fois en Iran, nous sommes en présence d’un mouvement qui a comme objectif premier le changement des comportements. Ce mouvement, n’est pas de type à renverser le régime. Même le pouvoir actuel l’a compris. Il parle de "guerre souple" pour qualifier la lutte du mouvement vert. Le peuple s’intéresse plus à modifier les contenus que les contenants. Il se focalise davantage sur les comportements que sur les personnes qui incarnent le pouvoir. La survie politique des personnes dirigeantes et des systèmes de pouvoir est désormais conditionnée par leur aptitude à adapter leurs comportements. C’est pour cela que je pense qu’aujourd’hui, le plus grand risque menaçant les piliers du régime actuel n’est pas le mouvement vert. C’est la rigidité et l’absence totale d’une quelconque capacité d’adaptation et de changement qui sont en réalité les plus grands facteurs de menace pour le régime au pouvoir en Iran.
Le corps de la société iranienne qui a subi des bouleversements majeurs, est comme une base fluide en mouvement alors que la structure qui est censée de la contenir n’est plus capable de s’adapter. Toute la question est donc de savoir si le contenant peut s’adapter au contenu. Si le contenant peut s’adapter, il peut perdurer. Mais s’il échoue, il est certain que le contenu finira tôt ou tard par le déborder ou le rompre, telle l’eau accumulée derrière un barrage.
Une chose est désormais sure. Dans l’Iran d’aujourd’hui, où le fils ne se soumet plus forcement à l’autorité paternelle, où la femme n’est plus subordonnée à son époux, la société ne peut plus se reconnaître dans une seule et unique personne, quelques soient ses qualités. La période où le peuple iranien voulait uniquement renverser son souverain est révolue. Aujourd’hui, si un chef religieux devait jouir d’un certain respect, ce serait dû au fait qu’il ne se considérerait pas comme le représentant de toute la société (nous pouvons citer l’énorme popularité de l’Ayatollah Montazeri qui avait su parler le langage du peuple).
Ce mouvement vert, je ne le considère pas comme séparé de ce qui a été initié avec l’élection de Khatami à la présidence. Il n’est pas le fruit de l’intelligence extraordinaire de tel ou tel dirigeant. Il s’agit plutôt d’un processus, d’un mouvement social qui le distingue fondamentalement les mouvements révolutionnaires de l’Histoire de l’Iran. L’activité politique en Iran n’est plus exclusivement réservée aux révolutionnaires professionnels. Elle se transforme progressivement à un combat quotidien. La différence fondamentale que je perçois entre les militants politiques d’aujourd’hui et ceux d’il y a 30 ans est la volonté pour les militants actuels de mener une vie normale, d’exercer une profession et parallèlement, de formuler des revendications politiques. Le militant politique actuel a des souhaits pratiques. Il veut écouter la musique qu’il aime. Il veut s’habiller comme il l’entend. C’est une différence considérable par rapport à 1979. En 1979, de très nombreuses familles qui n’avaient pas forcement des comportements religieux, avaient opté pour des comportements religieux par nécessité idéologique. J’entends par là, une religion qui était devenue une idéologie. Aujourd’hui, nous ne sommes plus du tout dans un tel contexte. Aujourd’hui, les religieux, les non religieux et les anti-religieux se sont entendus sur des outils communs.
Dans les sociétés démocratiques, ce qui est vraiment important est le rapport des forces sociales capables de transformer la démocratie en un sujet normal et quotidien, qui n’a plus rien d’extraordinaire dans l’imaginaire des gens. On n’attend pas de la démocratie d’être un système providentiel ou destructeur. Le régime démocratique moderne est l’acceptation d’un certain relativisme en politique. Je considère que tant que la démocratie n’est pas transformée en une chose compréhensible, palpable et à la portée des gens "normaux", elle ne pourrait pas être atteinte. Elle doit être transformée en une expérience, en un exercice normal dans le cadre de la vie quotidienne des gens.
Malgré les postures extrêmes du régime actuel en Iran, je suis persuadé que l’ère de la toute puissance des pouvoirs absolus et des idéologies providentielles est révolue en Iran. Nous nous dirigeons vers une société où le doute, la critique et le relativisme deviennent des piliers fondamentaux. Une société qui ne s’attend plus à choisir entre le diable et l’ange. Une société qui devient tout simplement "normale". Dans une telle société, même si l’air, la terre et l’eau ne conviennent toujours pas à ce jeune arbre qu’est la démocratie, petit à petit, la compréhension mutuelle, la conversation ouverte, deviennent des conditions nécessaires de survie.
Fin
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