mardi 28 juillet 2009

Crime contre l’Humanité à KAHRIZAK (II)

Le témoignage qui suit est publié sur le blog d’un ancien détenu de KAHRIZAK. Ce récit complète celui précédemment publié par le site Vague Verte de Liberté et traduit sur ce blog.


Je ne sais pas par où commencer.

Vous m’excuserez si je fais plein de fautes d’orthographe et de grammaire pour décrire ce que j’ai vécu dans le camp de KAHRIZAK, le guantanamo d’Iran car je suis très pressé et je dois partir. Il est exactement 8h du matin du 6 Mordad (28 Juillet). Aujourd’hui à l’aube, avec quelques autres, j’ai été sauvé miraculeusement d’une mort certaine. Je viens de rentrer chez moi de l’hôpital. Je me suis précipité sur l’ordinateur pour créer ce blog.

J’ai été arrêté le 18 Tir (9 Juillet). J’ai 21 ans. A l’heure où j’écris ce texte, je ne crois toujours pas je suis libre. Le 18 Tir, j’étais avec un copain en moto. Il prenait un film avec son portable. Des miliciens habillés en civils nous ont pris et frappés. Une pauvre femme a essayé de venir nous sauver mais ils l’ont aussi frappée. On nous a ensuite jetés dans un minibus qui était plein de gens complètement détruits comme nous. Le minibus est arrivé à un commissariat. On m’avait tellement frappé que je n’ai pas su où c’était.

Là-bas, on nous a alignés contre un mur. Je me suis mis à côté de mon copain. Ensuite, un agent bien costaud et habillé en civil est venu. Il prenait une personne sur deux, qu’il jetait dans un minibus en lui donnant des coups de pied. Depuis, je suis sans nouvelle de mon copain. Avec quelques dizaines d’autres, on nous a emmenés à KAHRIZAK.

Vous ne pouvez même pas imaginer, dans la chambre où ils nous ont emmenés, il y avait 200 personnes. Tous blessés et matraqués. On entendait des cris de douleur de partout. Je me demandais ce qu’ils allaient faire de nous là-bas. J’imaginais que le lendemain, ils allaient nous emmener dans un tribunal, une prison. Je pensais que n’importe où serait mieux que là-bas. Il n’y avait même pas de place pour s’asseoir. Il y avait du sang partout sur les murs et les portes.

Je pensais à mon copain. Parce que ce n’était pas un type qui pouvait supporter ce genre d’endroit. Dans cette pagaille, les gens qui étaient dans cette chambre se sont mis à pleurer et ont dit qu’une personne était morte. On entendait des bruits de l’autre côte de la chambre, mais peut-être que vous me croirez pas, nous étions restés collés les uns aux autres, incapables de bouger.

Les miliciens habillés en civils sont entrés. Ils ont cassé les ampoules et dans l’obscurité totale, se sont mis à frapper. Ils frappaient tout ce qui passait entre leurs mains. Ils ont frappé comme il faut pour une bonne demi-heure. Quelques uns sont tombés dans le coma à cause de la violence des coups. Peut-être même qu’ils sont morts. Ensuite ils ont allumés des lampes de poche qu’ils ont pointées sur nos visages et nous ont dit : "si vous faites le moindre bruit, on vous enfoncera ces matraques dans …". Je n’arrivais pas à croire. Je pensais que je vivais un cauchemar.

Sadegh qui était apparemment leur chef, a pris le cadavre de celui qui était mort, l’a mis contre le mur puis a éclairé son visage par sa lampe de poche et nous a dit : "Nous avons l’ordre de vous tuer. Vous faudrait pas mal de chance pour ne pas mourir comme ce fils de … (en regardant le cadavre). Vous ne ferez pas un bruit. On verra si vous êtes encore en vie demain et si vous n’êtes pas morts… ". "Vous êtes Moharebeh" (note du traducteur: de l’arabe, signifie littéralement "se battre". Dans la loi iranienne, signifie crime majeur commis contre l’Islam et l’Etat et passible de la peine capitale: la mort). "Vous savez ce que ça veut dire"? Il a pris le cou d’un jeune de 16-17 ans qui était en face de lui. "Dis leur ce que Moharebeh veut dire"! Le jeune a répondu qu’il ne savait pas. "Tu ne sais pas!? (insulte)". Il a commencé à le frapper. "Dis le, dis le, dis". Il l’a tellement frappé que le jeune s’est évanoui. "Ça veut dire diable, ça veut dire coupable". Il l’a tellement frappé que certains ont commencé à protester. Ils ont été aussi battus à mort.

Dans cette chambre, il y a eu au moins 4 morts dans la nuit.

Sadegh s’est mis à crier en disant qu’ici, il n’y avait pas de toilettes ou de brosses à dents. "Vous ferez tout ce que vous à faire ici même. Compris?".

Il n’y avait plus personne saine et sauve parmi nous. Tout le monde avait soit du sang coagulé sur le visage, comme moi, soit les yeux gonflés, comme moi. Beaucoup d’autres avaient les bras et jambes cassés. A cause de l’obscurité totale, je n’ai pas pu voir beaucoup de gens. Quand ils ouvraient la porte, la lumière faisait très mal aux yeux.

Le lendemain et les jours qui ont suivi étaient tellement affreux qu’il me faudrait beaucoup de temps pour tout raconter. Pour qu’on ne meurt pas de faim, tous les jours, je ne sais pas si c’était jour ou nuit d’ailleurs, on nous apportait un sac avec des restes de repas qu’on mangeait avec beaucoup d’appétit. Dans ce sac, il y avait des morceaux de pain, des légumes et du riz. Un détenu qui se disait docteur, un certain Zareh, était responsable de partager la nourriture. Je le reconnaissais et je reconnaissais beaucoup d’autres codétenus par leur voix seulement. Jusqu’au jour où Sadegh est venu nous apporter quelques ampoules et nous conduire vers le camp. Pour nous c’était une impression de liberté. Le ciel bleu et les rayons du soleil étaient nouveaux pour nous (en fait, je dois dire qu’il nous ont fait sortir pour qu’on ramasse les saletés qui s’étaient accumulées dans notre chambre).

Je m’excuse si j’écris ce genre de choses mais je suis certain que dans quelque temps, quand les autres prisonniers auront été libérés, en particulier du camp KAHRIZAK, ils pourront mieux vous expliquer. Je suis certain que KAHRIZAK, pour certains aspects, a été pire que Guantanamo ou Abu-Ghraib. Finalement, selon les subordonnés de Sadegh, nous étions les premiers à être expulsés du camp, sans passer par le juge, en raison du très grand nombre de détenus qui s’accumulaient. Ils nous ont menacés en disant que si nous parlions, ils nous tueraient. J’ai immédiatement pris contact avec ma famille hier à minuit avec le portable d’un passant et ils sont venus me chercher.

La liberté est très douce et agréable. Mais n’oubliez pas que plusieurs milliers de prisonniers sont toujours détenus dans des conditions atroces.

Je fournis les noms de personnes qui sont mortes pendant cette période, juste dans notre camp. J’ai appris par cœur ces noms. Enfin, j’ajoute que si ces monstres avaient emmené ces personnes à l’hôpital, peut-être qu’elles auraient pu rester en vie.

  • Hassan SHAPOURI (étudiant)
  • Reza FATTAHI
  • Milad … (nom de famille ? le garçon qui avait 16-17 ans, qui a été frappé par Sadegh le premier soir, il est tombé dans le coma, il a été emmené à l’extérieur. Le médecin codétenu disait qu’il saignait de la bouche et de l’oreille et qu’il était malheureusement mort)
  • Morteza SALAHSHOUR
  • Morad AGHASSI
  • MOHSEN ENTEZAMI
Je publierai aussi des noms de prisonniers de notre camp dans les prochains jours sur ce blog.

Mon Dieu, libère nous de ces gens
Je ne peux pas imaginer où j’étais il y a seulement 24 heures
Mon Dieu, sauve tous les Iraniens et tous ceux qui veulent la liberté

Enfin, je pense qu’avec tous les changements observés dans le camp de KAHRIZAK, le centre que le Guide (Khamenei) corrompu veut fermer est bien KAHRIZAK. Parce que beaucoup y sont morts.

Dans l’espoir de la libération de tous les prisonniers de KAHRIZAK

ps: une version en Anglais de ce texte est proposé ici
ps: le New York Times reperend de larges extraits de ce témoignage clé et de l'article de la Vague Verte de Liberté dans son édition du 29 Juillet:

... Questions about the prison abuse have gained more importance in recent days, not only because of the opposition’s public protests but also because the stories have multiplied. One young man posted an account on Tuesday of his ordeal at the Kahrizak camp, which was ordered closed on Monday by Ayatollah Khamenei.

“We were all standing so close to each other that no one could move,” he wrote in a narrative posted online. “The plainclothes guards came into the room and broke all the light bulbs, and in the pitch dark started beating us, whoever they could.” By morning, at least four detainees were dead, he added.

In another account posted online, a former detainee describes being made to lie facedown on the floor of a police station bathroom, where an officer would step on his neck and force him to lick the toilet bowl as the officer cursed reformist politicians.

A woman described having her hair pulled as interrogators demanded that she confess to having sex with political figures. When she was finally released, she was forced — like many others — to sign a paper saying she had never been mistreated.

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